T.

The Epic Leap by Fethi Benslama

It is as if Ahmed had leapt into the narrative of an epic, becoming one of its characters, and this leap had led him to engage in a real battle. This is what I propose to call the epic leap. It is not a case of “passage à l’acte“, a notion often misused to fill gaps in meaning when faced with disconcerting behaviors. Restored to the clinical rigor conferred by psychoanalysis, acting out is a rupture, a sudden piercing of consciousness by the unexpected. It is an act that has no meaning for the subject performing it, as they are absent to themselves at the moment they are its agent. For Ahmed, as for many others I have encountered who have entered the fight, there is, on the contrary, an excess of meaning and a deliberate crossing over that draws its strength from the conjunction of narrative and action. The word ‘epic’ corresponds to this assembly or union embodied by the two Greek terms it comprises: epos, which denotes speech in its various manifestations (verbalization, saying, storytelling, narration, fable, myth, etc.), and poiein, which means action and its equivalents (the act, doing, production, realization, etc.). ‘Epic’ in Arabic (malhama) is in harmony; the word comes from a root meaning ‘to weld’ (l.h.m), which has given ‘flesh’ and ‘fierceness,’ as well as the epic poem or saga. The epic leap is for a subject the event by which a narrative becomes action, an action becomes narrative, aimed at a battle they believe to be legitimate. Whether driven by a desire for justice, revenge for an outrage, erasure of a shameful stain, quest for intensity in life, desire to be another, or several of these motives at once, the subject seeks, through the feat, to escape their current state and enter a significant becoming, even if it proves fatal. And it is not necessary to possess exceptional qualities to don the cloak of the epic.


C’est comme si Ahmed avait sauté dans le récit d’une épopée pour en devenir l’un des personnages et que ce saut l’avait conduit à s’engager dans un combat réel. C’est ce que je propose d’appeler le saut épique. Il ne s’agit pas d’un passage à l’acte, notion utilisée à tort et à travers pour boucher les trous du sens face à des agissements déconcertants. Restitué à la rigueur clinique que la psychanalyse lui a conférée, le passage à l’acte est un trou, un transpercement fulgurant de la conscience par l’imprévu. C’est un acte qui n’a pas de sens pour le sujet qui l’effectue, étant absent à lui-même au moment où il en est l’agent. Pour Ahmed, comme pour tant d’autres que j’ai rencontrés et qui sont entrés dans le combat, il y a au contraire un excès de sens et un franchissement délibéré qui tire sa force de la conjonction du récit et de l’action. Le mot “épopée” correspond à cet assemblage ou à cette union qu’incarnent les deux termes grecs dont il est formé: epos qui désigne la parole dans ses diverses manifestations (la verbalisation, le dire, le récit, la narration, la fable, le mythe, etc.) et poiein qui signifie l’action et ses équivalents (l’acte, le faire, la production, la réalisation, etc.). “Épopée” en arabe (malhama) est à l’unisson ; le mot provient d’une racine qui signifie “souder” (l.h.m), qui a donné “chair” et “acharnement”, ainsi que le poème épique ou la geste. Le saut épique est pour un sujet l’événement par lequel un récit se fait action, une action est faite récit, en vue d’un combat qu’il croit légitime. Qu’il soit mû par un désir de justice, par la vengeance d’un outrage, par l’effacement d’une tache honteuse, par la recherche d’une intensité de vie, par le désir d’être un autre, ou par plusieurs de ces mobiles à la fois, le sujet veut, à travers l’exploit, échapper à son état actuel et entrer dans un devenir insigne, dût-il lui être fatal. Et il n’est pas nécessaire de disposer de qualités exceptionnelles pour revêtir la cape de l’épopée.

Fethi Benslama, Le Saut Epique, Acte Sud, Paris, 2021, p. 35

D.

Dream is not the unconscious by Sigmund Freud

I can imagine that to point out the existence of lying dreams of this kind, ‘obliging’ dreams, will arouse a positive storm of helpless indignation in some readers who call themselves ana- lysts. ‘What!’ they will exclaim, ‘the unconscious, the real centre of our mental life, the part of us that is so much nearer the divine than our poor consciousness it too can lie! Then how can we still build on the interpretations of analysis and the accuracy of our findings?’ To which one must reply that the recognition of these lying dreams does not constitute any shattering novelty. I know, indeed, that the craving of mankind for mysticism is ineradicable, and that it makes ceaseless efforts to win back for mysticism the territory it has been deprived of by The Interpretation of Dreams, but surely in the case under consideration everything is simple enough. A dream is not the ‘unconscious‘; it is the form into which a thought left over from preconscious, or even from conscious, waking life, can, thanks to the favouring of state of sleep, be recast.

Sigmund Freud, “The Psychogenesis of a Case of Homosexuality in a Woman” in The Standard Edition of the complete psychological works of Sigmund Freud – Volume XVIII (1920 – 1922), Tr. James Strachey, The Hograth Press, London,1991, p. 165


« Je peux me représenter que la référence à l’existence de tels rêves de complaisance mensongers va déchaîner, chez certains qui se donnent le nom d’analystes, une vraie tempête d’indignation irrémédiable. «Ainsi donc l’inconscient lui aussi peut mentir, ce véritable noyau de notre vie d’âme, cela même en nous qui est tellement plus proche du divin que notre misérable conscience! Comment peut-on alors faire fond sur les interprétations de l’analyse et sur l’assurance de nos connaissances?» A l’encontre de cela il doit être dit que la reconnaissance de tels rêves mensongers ne signifie pas une nouveauté bouleversante. Je sais bien que chez les hommes le besoin de mystique est inextirpable et qu’il fait d’inlassables tentatives afin de reconquérir pour la mystique le domaine qui lui a été arraché par L’interprétation du rêve, mais dans le cas qui nous occupe, tout est pourtant suffisamment simple. Le rêve n’est pas l’ «inconscient», il est la forme dans laquelle une pensée rési- duelle provenant du préconscient ou même du conscient de la vie de veille a pu, grâce aux conditions favorables de l’état de sommeil, être refondue. 

Sigmund Freud, “De la psychogénèse d’un cas d’homosexualité féminine” in Œuvres Complètes, PUF, 2006, p. 255

A.

American Dream : life should be better by James Truslow Adams

If, as I have said, the things already listed were all we had had to contribute, America would have made no distinctive and unique gift to mankind. But there has been also the American dream, that dream of a land in which life should be better and richer and fuller for every man, with opportunity for each according to his ability or achievement. It is a difficult dream for the European upper classes to interpret adequately, and too many of us ourselves have grown weary and mistrustful of it. It is not a dream of motor cars and high wages merely, but a dream of a social order in which each man and each woman shall be able to attain to the fullest stature of which they are innately capable, and be recognized by others for what they are, regardless of the fortuitous circumstances of birth or position. I once had an intelligent young French-man as guest in New York, and after a few days I asked him what struck him most among his new impressions. Without hesitation he replied, “The way that everyone of every sort looks you right in the eye, without a thought of inequality.” Some time ago a foreigner who used to do some work for me, and who had picked up a very fair education, occasionally sat and chatted with me in my study after he had finished his work. One day he said that such a relationship was the great difference between America and his homeland. There, he said, “I would do my work and might get a pleasant word, but I could never sit and talk like this. There is a difference there between social grades which cannot be got over. I would not talk to you there as man to man, but as my employer.”


Si, comme je l’ai dit, les choses déjà mentionnées étaient tout ce que nous avions à apporter, l’Amérique n’aurait fait aucun don distinctif et unique à l’humanité. Mais il y a eu aussi le rêve américain, ce rêve d’une terre où la vie devrait être meilleure, plus riche et plus pleine pour chaque homme, avec des opportunités pour chacun selon ses capacités ou ses réalisations. C’est un rêve difficile à interpréter adéquatement pour les classes supérieures européennes, et trop d’entre nous-mêmes se sont lassés et méfiés de lui. Ce n’est pas seulement un rêve de voitures et de hauts salaires, mais un rêve d’un ordre social dans lequel chaque homme et chaque femme serait capable d’atteindre la pleine stature dont ils sont intrinsèquement capables, et être reconnus par les autres pour ce qu’ils sont, indépendamment des circonstances fortuites de naissance ou de position. J’ai autrefois accueilli un jeune Français intelligent à New York, et après quelques jours, je lui ai demandé ce qui l’avait le plus frappé parmi ses nouvelles impressions. Sans hésitation, il répondit, “La façon dont chacun, de toute sorte, vous regarde droit dans les yeux, sans penser à l’inégalité.” Il y a quelque temps, un étranger qui travaillait pour moi et qui avait acquis une assez bonne éducation, s’asseyait parfois et bavardait avec moi dans mon bureau après avoir terminé son travail. Un jour, il a dit que cette relation était la grande différence entre l’Amérique et son pays natal. Là-bas, dit-il, “Je ferais mon travail et pourrais obtenir un mot aimable, mais je ne pourrais jamais m’asseoir et parler ainsi. Il y a là-bas une différence entre les grades sociaux qui ne peut être surmontée. Je ne vous parlerais pas là-bas d’homme à homme, mais en tant que mon employeur.”

James Truslow Adams, The Epic of America (1931), Little, Brown, And Company, Boston, 1938, p. 425

W.

We have given their meaning to words by Ludwig Wittgenstein

Never forget that words have no other meaning than the one you have given them, and this meaning derives from our explanations. I can provide the definition of a word and use it according to the terms of that definition; or those who teach me the use of the word can give me the necessary explanations. Alternatively, we may consider as an explanation of the word all that we can possibly explain when questioned. I mean when we are ready to give an explanation, for, in most cases, we are not. Thus, many words do not have very precise meanings. But this is not a defect. To believe that it is a defect would be somewhat like saying that my bedside lamp is not a real lamp because I cannot say with certainty where the edge of its light ends. Philosophers often talk about seeking and analyzing the meaning of words. But let us remember that it is we who have given their meaning to words, that they do not derive it from an independent power; thus it is possible for us to conduct a scientific investigation into the real meaning of a word. A word has the meaning given to it by someone. Some words have several clearly defined meanings that are easy to enumerate and differentiate. There are others about which we can only say this: “They are so frequently used in different senses that the different senses have become entangled.” It is not surprising, then, that we are unable to formulate strict rules for their use.


N’oubliez jamais que les mots n’ont d’autre signification que celle que vous leur avez donnée, et ce sens ils le tiennent de nos explications. Je puis donner la définition d’un mot et l’utiliser selon les termes de cette définition; ou ceux qui m’apprennent l’usage du mot peuvent me donner les explications nécessaires. On encore, nous pouvons entendre par explication du mot tout ce que, lorsqu’on nous interroge, il nous est possible d’expliquer. J’entends, lorsque nous sommes prêts à donner une explication, car, dans la plupart des cas, nous ne le sommes pas. Ainsi, nombreux sont les mots qui n’ont pas de sens très précis. Mais ce n’est pas là un défaut. Croire que c’est un défaut, ce serait à peu près comme si je vous disais que ma lampe de chevet n’est pas une vraie lampe parce que je suis incapable de dire avec certitude où s’arrête l’orbe de sa lumière. Les philosophes parlent très souvent de chercher, d’analyser le sens des mots. Mais souvenons-nous que c’est nous qui avons donné leur sens aux mots, qu’ils ne le tiennent pas d’une puissance indépendante ; ainsi nous est il possible de procéder à une enquête scientifique sur la signification réelle d’un mot. Un mot a le sens qui lui est donné par quelqu’un. Certains mot ont plusieurs sens clairement définis et qu’il est facile d’énumérer et de différencier. Il en est d’autres dont nous ne pouvons dire autre chose que ceci : “Ils sont si fréquemment utilisés dans des sens différents que les différents sens se sont enchevêtrés.” Il n’est pas étonnant alors que nous soyons incapables, pour leur utilisation, de formuler des règles strictes.

Ludwig WittgensteinLe cahier bleu et le cahier brun (1933 – 1934) – suivi de Ludwig Wittgenstein par Norman Malcolm, Tell, Gallimard, Paris, 1998, p. 84

E.

Everything around us is not clear by Ludwig Wittgenstein

And why be surprised at the absence of a definition of time if one is not surprised at the lack of a definition for the word “chair”? Why not display the same curiosity in all cases where we use a term that has not been defined? For a precise definition indeed specifies the logical use of a word in a sentence. And in fact, it is this grammatical logic of the word “time” that will astonish us. We merely express this astonishment by posing the somewhat incongruous question: “What is it?” This is a symptom of a discomfort we feel because everything around us is not clear, similar to the endless “whys” children repeat. They also denote a certain discomfort of thought and are not necessarily concerned with discovering a cause or reason. (Hertz, Principles of Mechanics.) But what astonishes us in the logical uses of the term “time” are what we might call their apparent contradictions. Saint Augustine was astonished by one of these contradictions when he posed the question: “How can one measure time?” For one cannot measure elapsed time which is in the past, nor future time which does not yet exist, and how would one measure the present which lacks extent?


Et pourquoi s’étonner de l’absence d’une définition du temps si l’on ne s’étonne pas de manquer d’une définition du mot « chaise » ? Pourquoi ne pas manifester la même curiosité dans tous les cas où nous utilisons un terme qui n’a pas été défini ? La définition précise en effet la logique d’emploi d’un mot dans la phrase. Et en fait c’est cette logique grammaticale du mot temps qui aura de quoi nous surprendre. Nous ne faisons qu’exprimer cet étonnement en posant la question, un tant soit peu incongrue: « Qu’est-ce que? » C’est là le symptôme d’un malaise que nous éprouvons parce que tout n’est pas clair autour de nous, c’est à peu près l’équivalent des « pourquoi » que les enfants répètent sans cesse. Ils dénotent eux aussi un certain malaise de la pensée et ne se préoccupent pas nécessairement de découvrir une cause ou une raison. (Hertz, Principes de mécanique.) Mais ce qui nous étonne dans les usages logiques du terme « temps », ce sont ce que nous pourrions appeler leurs contradictions apparentes. Saint Augustin s’étonnait d’une de ces contradictions, lorsqu’il posait la question: « Comment peut-on mesurer le temps ? » Car on ne saurait mesurer le temps écoulé qui se trouve dans le passé, ni le temps futur qui n’existe pas encore, et comment mesurerait on le présent qui est privé d’étendue ?

Ludwig Wittgenstein, Le cahier bleu et le cahier brun – suivi de Ludwig Wittgenstein par Norman Malcolm, Tell, Gallimard, Paris, 1998, p. 80

T.

The enjoyment of pain would thus be an aim by Sigmund Freud

Our view of sadism is further prejudiced by the circumstance that this instinct, side by side with its general aim (or perhaps, rather, within it), seems to strive towards the accomplishment of a quite special aim – not only to humiliate and master, but, in addition, to inflict pains. Psychoanalysis would appear to show that the infliction of pain plays no part among the original purposive actions of the instinct. A sadistic child takes no account of whether or not he inflicts pains, nor does he intend to do so. But when once the transformation into masochism has taken place, the pains are very well fitted to provide a passive masochistic aim; for we have every reason to believe that sensations of pain, like other unpleasurable sensations, trench upon sexual excitation and produce a pleasurable condition, for the sake of which the subject will even willingly experience the unpleasure of pain. When once feeling pains has become a masochistic aim, the sadistic aim of causing pains can arise also, retrogressively; for while these pains are being inflicted on other people, they are enjoyed masochistically by the subject through his identification of himself with the suffering object. In both cases, of course, it is not the pain itself which is enjoyed, but the accompanying sexual excitation – so that this can be done especially conveniently from the sadistic position. The enjoyment of pain would thus be an aim which was originally masochistic, but which can only become an instinctual aim in someone who was originally sadistic.

Sigmund Freud, “Instincts and their vicissitudes” (1915) in The standard edition of the complete psychological works of Sigmund Freud vol XIV, Trad. James Strachey, The Hogarth Press, London, 1957, p. 128

Pour concevoir le sadisme, on se heurte également à cette circonstance : cette pulsion semble, à côté de son but général (ou, pour mieux dire peut-être à l’intérieur de celui-ci, poursuivre une action commandée par un but tout à fait spécial. Il faut humilier, dominer, mais aussi infliger de la douleur. Or la psychanalyse semble montrer qu’infliger de la douleur ne joue aucun rôle dans les buts originairement poursuivis par la pulsion. Pour l’enfant sadique, infliger de la douleur n’entre pas en ligne de compte, ce n’est pas ce qu’il vise. Mais, une fois que la transformation en masochisme s’est accomplie, les douleurs se prêtent parfaitement à fournir un but passif masochiste; nous avons en effet toutes raisons d’admettre que les sensations de douleur, comme d’autres sensations de déplaisir, débordent sur le domaine de l’excitation sexuelle et provoquent un état de plaisir; voilà pourquoi on peut aussi consentir au déplaisir de la douleur. Une fois qu’éprouver de la douleur est devenu un but masochiste, le but sadique, infliger des douleurs, peut aussi apparaître, rétroactivement : alors, provoquant ces douleurs pour d’autres, on jouit soi-même de façon masochiste dans l’identification avec l’objet souffrant. Naturellement, on jouit, dans les deux cas, non de la douleur elle-même, mais de l’excitation sexuelle qui l’accompagne, ce qui est particulièrement commode dans la position de sadique. Jouir de la douleur serait donc un but originairement masochiste, mais qui ne peut devenir un but pulsionnel que chez celui qui est originairement sadique.

Sigmund Freud, “Pulsions et destins des pulsions” (1915) in MétapsychologieFolio Essais, Gallimard, 2010, p. 27

C.

Change of the content : love into hate by Sigmund Freud

The change of the content of an instinct into its opposite is observed in a single instance only the transformation of love into hate. Since it is particularly common to find both these directed simultaneously towards the same object, their coexistence furnishes the most important example of ambivalence of feeling.

Sigmund Freud, “Instincts and their vicissitudes” (1915) in The standard edition of the complete psychological works of Sigmund Freud vol XIV, Trad. James Strachey, The Hogarth Press, London, 1957, p. 133

La transformation d’une pulsion en son contraire (matériel) ne s’observe que dans un cas, celui de la transposition de l’amour en haine. Amour et haine se dirigeant très souvent simultanément sur le même objet, cette coexistence fournit aussi l’exemple le plus important d’une ambivalence du sentiment.

Sigmund Freud, “Pulsions et destins des pulsions” (1915) in MétapsychologieFolio Essais, Gallimard, 2010, p. 33

R.

Reversal of content : love into hate by Sigmund Freud

Reversal of an instinct into its opposite resolves on closer examination into two different processes : a change from activity to passivity, and a reversal of its content. The two processes, being different in their nature, must be treated separately. Examples of the first process are met with in the two pairs of opposites : sadismmasochism and scopophilia-exhibitionism. The reversal affects only the aims of the instincts. The active aim (to torture, to look at) is replaced by the passive aim (to be tortured, to be looked at). Reversal of content is found in the single instance of the transformation of love into hate.

Sigmund Freud, “Instincts and their vicissitudes” (1915) in The standard edition of the complete psychological works of Sigmund Freud vol XIV, Trad. James Strachey, The Hogarth Press, London, 1957, p. 127

Le renversement dans le contraire, à y regarder de plus près, se résout en deux processus différents : le retournement d’une pulsion de l’activité à la passivité et le renversement du contenu. Les deux processus, étant essentiellement différents, doivent être traités séparément. Des exemples du premier processus sont fournis par les couples d’opposés sadismemasochisme et voyeurisme-exhibitionnisme. Le renversement ne concerne que les buts de la pulsion; le but actif: tourmenter, regarder est remplacé par le but passif : être tourmenté, être regardé. Le renversement du contenu ne se trouve que dans un cas : la transformation de l’amour en haine.

Sigmund Freud, “Pulsions et destins des pulsions” (1915) in MétapsychologieFolio Essais, Gallimard, 2010, p. 25

I.

Instinct may undergo vicissitudes by Sigmund Freud

Our inquiry into the various vicissitudes which instincts undergo in the process of development and in the course of life must be confined to the sexual instincts, which are the more familiar to us. Observation shows us that an instinct may undergo the following vicissitudes:
Reversal into its opposite.
Turning round upon the subject‘s own self.
Repression.
Sublimation.

Sigmund Freud, “Instincts and their vicissitudes” (1915) in The standard edition of the complete psychological works of Sigmund Freud vol XIV, Trad. James Strachey, The Hogarth Press, London, 1957, p. 126

Quels destins les pulsions peuvent elles connaître au cours du développement et de la vie ? Nous devons limiter cette investigation aux pulsions sexuelles, qui nous sont mieux connues. L’observation nous apprend que les destins des pulsions sont les suivants :
Le renversement dans le contraire
Le retournement sur la personne propre
Le refoulement
La sublimation.

Sigmund Freud, “Pulsions et destins des pulsions” (1915) in Métapsychologie, Folio Essais, Gallimard, 2010, p. 24

T.

The repressed idea takes its revenge by Freud & Breuer

Now I already knew from the analysis of similar cases that before hysteria can be acquired for the first time one essential condition must be fulfilled: an idea must be intentionally repressed from consciousness and excluded from associative modification. In my view this intentional repression is also the basis for the conversion, whether total or partial, of the sum of excitation. The sum of excitation, being cut off from psychical association, finds its way all the more easily along the wrong path to a somatic innervation. The basis for repression itself can only be a feeling of unpleasure, the incompatibility between the single idea that is to be repressed and the dominant mass of ideas constituting the ego. The repressed idea takes its revenge, however, by becoming pathogenic.

Sigmund Freud, Joseph BreuerSTUDIES ON HYSTERIA (1893-1895), p. 87

Or, l’analyse de cas analogues m’avait appris que l’on découvre immanquablement dans tous les cas d’hystérie nouvellement acquise, une cause psychique et qu’il faut qu’une certaine représentation ait été intentionnellement refoulée du conscient et exclue de l’élaboration associative. C’est dans ce refoulement intentionnel que gît, à mon avis, le motif de la conversion totale ou partielle de la somme d’excitation. Cette somme qui n’est pas destinée à entrer dans une association psychique trouve d’autant plus facilement un mauvais débouché vers l’innervation corporelle. Ce refoulement ne peut être dû qu’à un sentiment de déplaisir, celui de l’incompatibilité de l’idée à refouler avec l’ensemble des représentations dominantes du moi. L’idée refoulée se venge alors en devenant parthogène.

Sigmund Freud, Joseph BreuerEtudes sur l’hystérie (1893-1895), Puf, Paris, 2007, p. 91

C.

Conversion : transformation of psychical excitation by Freud & Breuer

We must regard the process as though a sum of excitation impinging on the nervous system is transformed into chronic symptoms in so far as it has not been employed for external action in proportion to its amount. Now we are accustomed to find in hysteria that a considerable part of this ‘sum of excitation’ of the trauma is transformed into purely somatic symptoms. It is this characteristic of hysteria which has so long stood in the way of its being recognized as a psychical disorder. If, for the sake of brevity, we adopt the term ‘conversion’ to signify the transformation of psychical excitation into chronic somatic symptoms, which is so characteristic of hysteria, then we may say that the case of Frau Emmy von N. exhibited only a small amount of conversion. The excitation, which was originally psychical, remained for the most part in the psychical sphere, and it is easy to see that this gives it a resemblance to the other, non-hysterical neuroses. There are cases of hysteria in which the whole surplus of stimulation undergoes conversion, so that the somatic symptoms of hysteria intrude into what appears to be an entirely normal consciousness. An incomplete transformation is however more usual, so that some part at least of the affect that accompanies the trauma persists in consciousness as a component of the subject’s state of feeling.

Sigmund Freud, Joseph Breuer, STUDIES ON HYSTERIA (1893-1895)

Il faut comprendre que tout se passe comme si une certaine somme d’excitation abordant le système nerveux se trouvait transformée en symptôme durable dans la mesure où elle n’est pas, suivant son importance, utilisée sous forme d’action extérieure. Nous avions accoutumé de penser que, dans l’hystérie, une partie considérable de la somme d’excitation du traumatisme se transformait en symptôme somatique. C’est ce dernier caractère de l’hystérie qui, pendant si longtemps, a empêché qu’on considérât cette maladie comme une affection psychique. Si nous désignons brièvement par le mot conversion la transformation d’une excitation psychique en symptôme somatique durable, tel que celui qui caractérise l’hystérie, nous pouvons dire qu’il y a chez Mme Emmy v. N… de faibles indices de conversion, l’émoi originellement psychique, demeurant le plus souvent dans le domaine psychique. Nous pouvons ainsi facilement constater que le cas en question ressemble à d’autres névroses non hystériques. Dans certaines hystéries, la conversion concerne l’ensemble du renforcement de l’excitation, de telle sorte que les symptômes soma- tiques de l’hystérie font irruption dans un conscient en apparence tout à fait normal. Toutefois, c’est le plus souvent une conversion incomplète qui se produit, de telle sorte qu’au moins une partie des affects accompagnant le traumatisme persiste dans le conscient en tant qu’élément de l’état d’âme.

Sigmund Freud, Joseph Breuer, Etudes sur l’hystérie (1893-1895), Puf, Paris, 2007, p. 67

D.

Desire identity to somatic manifestation by Jacques Lacan

I told you in fact that simply by reading Freud‘s text, one could say, and Freud says it, articulates it, that her pain high up on her right thigh, is the desire of her father, and the desire of the friend of her youth, that it is every time that she evokes in the history of her illness, the moment that she was entirely subjected to the desire of her father, to the demand of her father, and when scarcely on the margin there was being exercised this attraction of the desire of the friend of her youth which she reproached herself for taking into consideration; and that the pain in her left thigh, is the desire of her two brothers-in-law, in so far as one represents the good masculine desire, the one who had married her younger sister, and the other the bad who besides has been considered by all of these women, as a very bad man. Beyond this remark, namely of what must be considered before understanding what our interpretation of desire means, the fact is that in the symptom, and that is what conversion means, desire is identical with the somatic manifestation which is its front just as it is its back.

Jacques Lacan, Seminar Book 5 – The formation of the unconscious (1957-1958), Translated by Cormac Gallagher, p 322

Je vous ai parlé d’Elizabeth von R, dont je vous disais qu’à lire simplement le texte de Freud, on peut formuler, car lui-même l’articule, que sa douleur du haut de la cuisse droite, c’est le désir de son père et celui de son ami d’enfance. En effet, cette douleur intervient chaque fois que la patiente évoque le moment où elle était entièrement asservie au désir de son père malade, à la demande de son père, et qu’en marge s’exerçait l’attraction du désir de son ami d’enfance, qu’elle se reprochait de prendre en considération. La douleur de sa cuisse gauche, c’est le désir de ses deux beaux-frères, dont l’un, l’époux de sa plus jeune sœur, représente le bon désir masculin, et l’autre, le mauvais celui-ci a par ailleurs été considéré par toutes ces dames comme un fort méchant homme. Au-delà de cette remarque, ce qu’il faut considérer avant de comprendre ce que veut dire notre interprétation du désir, c’est que dans le symptôme et c’est cela que veut dire conversion, le désir est identique à la manifestation somatique. Elle est son endroit comme il est son envers

Jacques Lacan., Le séminaire livre V, Les formations de l’inconscient (1957-1958), Seuil, Paris, 1998, p. 336

W.

When first signifiers become holophrased by Jacques Lacan

I will go so far as to formulate that, when there is no interval between S1 and S2, when the first dyad of signiflers become solidified, holophrased, we have the model for a whole series of cases — even though, in each case, the subject does not occupy the same place. In as much, for example, as the child, the mentally-deficient child, takes the place, on the blackboard, at the bottom right, of this S, with regard to this something to which the mother reduces him, in being no more than the support of her desire in an obscure term, which is introduced into the education of the mentally-deficient child by the psychotic dimension. It is precisely what our colleague Maud Mannoni, in a book that has just come out and which I would recommend you to read, tries to indicate to those who, in one way or another, may be entrusted with the task of releasing its hold. It is certainly something of the same order that is involved in psychosis. This solidity, this mass seizure of the primitive signifying chain, is what forbids the dialectical opening that is manifested in the phenomenon of belief. At the basis of paranoia itself, which nevertheless seems to us to be animated by belief, there reigns the phenomenon of the Unglauben. This is not the not believing in it, but the absence of one of the terms of belief, of the term in which is designated the division of the subject. If, indeed, there is no belief that is full and entire, it is because there is no belief at does not presuppose in its basis that the ultimate dimension that it has to reveal is strictly correlative with the moment when its meaning is about to fade away.

Jaques Lacan, The four fundamental concepts of psychoanalysis, The Seminar Book Xl, Tr. Alan Sheridan, Norton & company, London New York, 1998, P. 237

Suite de sens et des identifications, vues par Lacan

J’irai jusqu’à formuler que, lorsqu’il n’y a pas d’intervalle entre S, et S₂, lorsque le premier couple de signifiants se solidifie, s’holophrase, nous avons le modèle de toute une série de cas – encore que, dans chacun, le sujet n’y occupe pas la même place.
C’est pour autant que, par exemple, l’enfant, l’enfant débile, prend la place, au tableau, en bas et à droite, de ce S, au regard de ce quelque chose à quoi la mère le réduit à n’être plus que le support de son désir dans un terme obscur, que s’introduit dans l’éducation du débile la dimension psychotique. C’est précisément que notre collègue Maud Mannoni, dans un livre qui vient de sortir et dont je vous recommande la lecture, essaie de désigner à ceux qui, d’une façon quelconque, peuvent être commis à en lever l’hypothèque.
C’est assurément quelque chose du même ordre dont il s’agit dans la psychose. Cette solidité, cette prise en masse de la chaîne signifiante primitive, est ce qui interdit l’ouverture dialectique qui se manifeste dans le phénomène de la croyance.
Au fond de la paranoïa elle-même, qui nous paraît pourtant tout animée de croyance règne ce phénomène de l’Unglauben. Ce n’est pas le n’y pas croire, mais l’absence d’un des termes de la croyance, du terme où se désigne la division du sujet. S’il n’est pas de croyance qui ne suppose dans son fond que la dimension dernière qu’elle a à révéler est strictement corrélative du moment où son sens va s’évanouir.

Jacques Lacan, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, le Séminaire livre XI (1963-1964), Editions du Seuil, Paris, 1973, p. 215

P.

Phallus is the metonymy of the subject in being by Jacques Lacan

At the level of the second and of the third stage of the schema, I told you that we had a much more conscious use of knowledge, I mean that the subject knows how to speak and that he speaks. This is what he does when he calls the Other, and nevertheless it is here properly speaking that the originality of the field discovered by Freud and which he called the unconscious is to be found, namely this something which always puts the subject at a certain distance from his being, and which means precisely that this being never rejoins him, and it is for this reason that it is necessary, that he can not do otherwise than reach his being in this metonymy of being in the subject which is desire. And why? Because at the level at which the subject is himself engaged, himself inserted into the word and because of that into the relationship to the other as such, as locus of the word, there is a signifier which is always lacking. Why? Because it is a signifier, and the signifier is specially assigned to the relationship of the subject with the signifier. This signifier has a name, it is the phallus.
Desire is the metonymy of being in the subject; the phallus is the metonymy of the subject in being. We will come back to this. The phallus, in so far as it is the signifying element subtracted from the chain of the word, in so far as it involves every relationship with the Other, this is the final principle which means that the subject in everything, and in so far as he is implicated in the word, falls under the sway of something that develops with all its clinical consequences, under the name of the castration complex.

Jacques Lacan, 6th Seminar, p. 19

Au niveau des deux étapes suivantes, nous avons, je vous l’ai dit, un usage beaucoup plus conscient du savoir le sujet sait parler, et il parle, c’est ce qu’il fait quand il appelle l’Autre. Et c’est pourtant là que se trouve l’originalité du champ que Freud a découvert et qu’il appelle l’inconscient.
Il y a en effet dans cet Autre un quelque chose qui met toujours le sujet à une certaine distance de son être, et qui fait que, cet être, il ne le rejoint jamais, qu’il ne peut l’atteindre que dans cette métonymie de l’être dans le sujet qu’est le désir. Et pourquoi ? – parce que, au niveau où le sujet est lui-même engagé dans la parole, et par là dans la relation à l’Autre comme lieu de la parole, il y a un signifiant qui manque toujours. Pourquoi? parce que c’est le signifiant spécialement délégué au rapport du sujet avec le signifiant. Ce signifiant a un nom, c’est le phallus.
Le désir est la métonymie de l’être dans le sujet, le phallus est la métonymie du sujet dans l’être. Nous y reviendrons. Le phallus est l’élément signifiant soustrait à la chaîne de la parole, en tant qu’elle engage tout rapport avec l’Autre. C’est là le principe limite qui fait que le sujet, pour autant qu’il est impliqué dans la parole, tombe sous le coup de ce qui se développe, dans toutes ses conséquences cliniques, sous le terme du complexe de castration

Jacques Lacan, Le séminaire livre VI : le désir et son interprétation (1958-1959), La Martinière, Paris, 2013, pp. 34-25

T.

The best remedy against delinquency by Mélanie Klein

Here is the translation into 1930s academic English:”Love is not absent in the criminal, but hidden so deeply that nothing but analysis can bring it to light; as the persecutory and hated object was initially, for the infant, the recipient of all its love and libido, the criminal finds himself in the position of hating and persecuting his own beloved object; this is an untenable situation: all memory, all consciousness of love for any object must therefore be suppressed. If there are only enemies in the world, as the criminal feels, his hatred and his urge to destroy are largely justified in his view; this attitude alleviates some of his unconscious feelings of guilt. Hatred is often used as the most effective mask for love; but it must not be forgotten that for a subject constantly exposed to persecution, the sole concern is the security of one’s own self. In summary: in cases where the superego‘s main function is to provoke anxiety, it calls upon violent, non-ethical, and non-social defense mechanisms in the ego; but as soon as the child’s sadism decreases and the nature and function of his superego transform in such a way that it appeals to less overwhelming anxiety and stronger guilt, the defense mechanisms that underlie an ethical and moral attitude are activated, and the child begins to regard his objects and open up to social feelings. We know how difficult it is to approach the adult criminal and to cure him, although we have no reason to be too pessimistic in this area; experience shows that it is possible to make contact with criminal children as well as psychotic children, and to cure them. It thus seems that the best remedy against delinquency would be to analyze children who show signs of abnormality in the sense of psychosis or criminality.

L’amour n’est pas absent chez le criminel, il est caché et si bien enseveli que rien ne peut l’amener au jour si ce n’est l’analyse; comme l’objet persécuteur et haï était à l’origine, pour le petit bébé, l’objet de tout son amour et de sa libido, le criminel se trouve dans la situation de haïr et de persécuter son propre objet d’amour; c’est là une situation insupportable: tout souvenir, toute conscience d’un amour pour quelque objet que ce soit, doivent donc être supprimés. S’il n’existe au monde que des ennemis, et c’est cela que le criminel éprouve, sa haine et son envie de détruire sont, à son avis, en grande partie justifiées; cette attitude soulage certains de ses sentiments inconscients de culpabilité. La haine est souvent utilisée comme le masque le plus efficace de l’amour; mais il ne faut pas oublier que pour un sujet constamment exposé à la persécution, la seule préoccupation est la sécurité de son propre moi. Résumons-nous: dans les cas où le surmoi a pour fonction principale d’éveiller l’angoisse, il fait appel, dans le moi, à de violents mécanismes de défense, non éthiques et non sociaux par nature; mais dès que le sadisme de l’enfant diminue et que le caractère et la fonction de son surmoi se transforment de telle sorte que celui- ci fait appel à une angoisse moins écrasante et à une culpabilité plus forte, les mécanismes de défense qui constituent la base d’une attitude éthique et morale sont mis en marche, et l’enfant commence à avoir des égards pour ses objets et à s’ouvrir aux sentiments sociaux. Nous savons comme il est difficile d’aborder le criminel adulte et de le guérir, encore que nous n’ayons aucune raison d’être trop pessimistes dans ce domaine; l’expérience montre qu’il est possible d’entrer en contact avec les enfants criminels comme avec les enfants psychotiques, et de les guérir. Il semble donc que le meilleur remède contre la délinquance serait d’analyser les enfants qui donnent des signes d’anormalité dans le sens de la psychose ou dans celui de la criminalité. 

Mélanie Klein, Essais de psychanalyse 1921-1945, Payot, Paris, 1993, p. 310

P.

Phallic function does not contradict Freud by Luce Irigaray

This formulation of a dialectic of sexual relations through the phallic function does not contradict Lacan‘s maintenance of the castration complex in girls as defined by Freud — that is, her lack of having the phallus — and her subsequent entry into the Oedipus complex — or the desire to receive the phallus from the one presumed to have it, the father. Similarly, the importance of ‘penis envy’ in women is not challenged but is further elaborated in its structural dimension.

Luce Irigaray

Cette formulation d’une dialectique des rapports sexués par la fonction phallique ne contrarie en rien le maintien, par Lacan, du complexe de castration de la fille tel qu’il a été défini par Freud – soit son manque à avoir le phallus – et son entrée consécutive dans le complexe d’Œdipe – ou désir de recevoir le phallus de qui est supposé l’avoir, le père. De même, l’importance de “l’envie du pénis” chez la femme n’est pas remise en cause mais davantage élaborée dans sa dimension structurale.

Luce Irigaray, Ce sexe qui n’en est pas un, Editions de Minuit, Paris, 1974, p. 59

M.

Military-industrial complex by Dwight D. Eisenhower

A vital element in keeping the peace is our military establishment. Our arms must be mighty, ready for instant action, so that no potential aggressor may be tempted to risk his own destruction. Our military organization today bears little relation to that known by any of my predecessors in peace time, or indeed by the fighting men of World War II or Korea. Until the latest of our world conflicts, the United States had no armaments industry. American makers of plowshares could, with time and as required, make swords as well. But now we can no longer risk emergency improvisation of national defense; we have been compelled to create a permanent armaments industry of vast proportions. Added to this, three and a half million men and women are directly engaged in the defense establishment. We annually spend on military security more than the net income of all United State corporations. This conjunction of an immense military establishment and a large arms industry is new in the American experience. The total influence – economic, political, even spiritual – is felt in every city, every state house, every office of the Federal government. We recognize the imperative need for this development. Yet we must not fail to comprehend its grave implications. Our toil, resources and livelihood are all involved; so is the very structure of our society. In the councils of government, we must guard against the acquisition of unwarranted influence, whether sought or unsought, by the military-industrial complex. The potential for the disastrous rise of misplaced power exists and will persist.

President Dwight D. Eisenhower’s Farewell Address (1961)

Un élément vital dans le maintien de la paix est notre établissement militaire. Nos armes doivent être puissantes, prêtes pour une action immédiate, afin qu’aucun agresseur potentiel ne puisse être tenté de risquer sa propre destruction. Notre organisation militaire d’aujourd’hui a peu de rapport avec celle connue par mes prédécesseurs en temps de paix, ou même par les combattants de la Seconde Guerre mondiale ou de Corée. Jusqu’au dernier de nos conflits mondiaux, les États-Unis n’avaient pas d’industrie d’armement. Les fabricants américains de charrues pouvaient, avec le temps et selon les besoins, fabriquer des épées également. Mais désormais, nous ne pouvons plus nous permettre une improvisation d’urgence de la défense nationale ; nous avons été contraints de créer une industrie permanente d’armement de vastes proportions. À cela s’ajoute que trois millions et demi d’hommes et de femmes sont directement engagés dans l’établissement de défense. Nous dépensons annuellement pour la sécurité militaire plus que le revenu net de toutes les sociétés des États-Unis. Cette conjonction d’un immense établissement militaire et d’une grande industrie d’armement est nouvelle dans l’expérience américaine. L’influence totale – économique, politique, voire spirituelle – se fait sentir dans chaque ville, chaque maison d’État, chaque bureau du gouvernement fédéral. Nous reconnaissons le besoin impératif de ce développement. Pourtant, nous ne devons pas manquer de comprendre ses graves implications. Notre labeur, nos ressources et nos moyens de subsistance sont tous impliqués ; ainsi que la structure même de notre société. Dans les conseils du gouvernement, nous devons nous garder de l’acquisition d’une influence indue, qu’elle soit recherchée ou non, par le complexe militaro-industriel. Le potentiel pour l’ascension désastreuse d’un pouvoir mal placé existe et persistera.

Y.

Ye cannot be justified by the works of the law by John Bunyan

“This Legality, therefore, is not able to set thee free from thy burden. No man was as yet ever rid of his burden by him; no, nor ever is like to be: ye cannot be justified by the works of the law; for by the deeds of the law no man living can be rid of his burden: therefore, Mr. Worldly-wiseman is an alien, and Mr. Legality is a cheat; and for his son Civility, notwithstanding his simpering looks, he is but a hypocrite, and cannot help thee. Believe me, there is nothing in all this noise, that thou hast heard of these sottish men, but a design to beguile thee of thy salvation, by turning thee from the way in which I had set thee.”

John Bunyan, The Pilgrim’s Progress (1678), Desiring God, Minneapolis, 2014, p. 23

John Bunyan Portrait

La loi est donc incapable de te libérer de ton fardeau. Aucun homme n’a jamais été justifié par les œuvres de la Loi*. C’est pourquoi Mondain est un trompeur, ainsi que son ami la Loi. Son fils Courtoisie n’est qu’un hypocrite, malgré son air honnête, et il ne peut pas t’aider. Crois moi, cet homme stupide n’a pas eu d’autre but que de te détourner de ton salut, et de te faire sortir du chemin dans lequel je t’avais introduit.

John Bunyan, Le voyage du pèlerin (1678), CLC France, Montélimar, 2015, p. 38

* Romans 3:20 : “Therefore no one will be declared righteous in God’s sight by the works of the law; rather, through the law we become conscious of our sin.”

Romains 3:20 : “Car nul ne sera justifié devant lui par les œuvres de la loi, puisque c’est par la loi que vient la connaissance du péché.”

I.

I strive to negotiate my fear and paranoia by Calvin C. Hernton

A rage emanates out of the suffocating fearful feelings of persecution that, if no outlet is found, will explode. During the 1960s two black psychiatrists, William Greer and Price Cobb, published a book-length study about this phenomenon in black male youth, entitled Black Rage (1968). During the 1960s and 70s, the comic, Dick Gregory, tended to interpret every act of injustice experienced by black people as part of a larger ‘conspiracy’ to damage and destroy black people.
After the system of slavery was abolished, another apartheid-like system known as ‘Jim Crow’ segregation and discrimination against black people was established. Out of this system of inequality and police brutality, which replaced slavery, the psyche system of paranoia between whites and blacks was solidified in the United States and is ongoing to this day. Thus, despite having lived where the police are not a menace, whenever white policemen enter the space where I am, I experience anxiety and fear. I can be rational and control this ‘pathology’. Yet, similar to black people everywhere in the United States, particularly the youth in their own neighborhoods, I too live with a measured sense of being persecuted by the police. And I strive to negotiate my fear and paranoia in ways that help me survive both the imagined and very real animosity and brutality of the police toward all people whose complexion and status in the eyes of the world are similar to mine.

https://youtube.com/watch?v=gdbTJiMwUhQ%3Fsi%3DBmpy-hZ0szBUqdHa
William Grier and Price Cobe talks about their Black Rage book, in 1968

Une rage émane des sentiments suffocants et craintifs de persécution qui, faute de débouché, explosera. Durant les années 1960, deux psychiatres noirs, William Greer et Price Cobb, ont publié une étude détaillée sur ce phénomène chez les jeunes hommes noirs, intitulée La Rage Noire (1968). Pendant les années 60 et 70, le comique Dick Gregory avait tendance à interpréter chaque acte d’injustice vécu par les personnes noires comme partie intégrante d’une ‘conspiration’ plus large visant à les blesser et les détruire.
Après l’abolition du système d’esclavage, un autre système semblable à l’apartheid, connu sous le nom de ségrégation et discrimination “Jim Crow” envers les personnes noires, a été établi. De ce système d’inégalité et de brutalité policière, qui a remplacé l’esclavage, le système psychique de paranoïa entre blancs et noirs s’est solidifié aux États-Unis et persiste jusqu’à aujourd’hui. Ainsi, bien que je vive dans un lieu où la police n’est pas une menace, chaque fois que des policiers blancs entrent dans l’espace où je me trouve, je ressens de l’anxiété et de la peur. Je peux être rationnel et contrôler cette ‘pathologie’. Pourtant, à l’instar des personnes noires partout aux États-Unis, particulièrement les jeunes dans leurs propres quartiers, je vis aussi avec un sentiment mesuré d’être persécuté par la police. Et je m’efforce de négocier ma peur et ma paranoïa de manière à me permettre de survivre à l’animosité et à la brutalité, imaginées et bien réelles, de la police envers toutes les personnes dont le teint et le statut aux yeux du monde sont similaires aux miens.

Calvin C. Hernton, “Between history and me” in Even paranoids have enemies : new perspectives on paranoia and persecution, Routledge, London, 1998, p. 175

https://youtube.com/watch?v=cnx6j1UfjW8%3Fsi%3D7B3qoTaHrpcznwqL
Trailer of the biographical documentary about Dick Gregory
D.

Declaration of Independence heroic dimension by Benjamin Guérif


In addition to its political (and literary) significance, the Declaration of Independence embodies a heroic and exemplary dimension. It represents the first declaration of emancipation from European colonies. Together with the Constitution and the Bill of Rights [the two sets of amendments added after the Constitution’s formation], which have since acquired great symbolic importance, it constitutes nothing less than the birth of a nation that would soon captivate, particularly in Europe. Even today, reading these texts is immensely beneficial for understanding the United States.

En plus de son importance politique (et littéraire), la Déclaration d’indépendance comporte une dimension héroïque et exemplaire. C’est la première déclaration d’émancipation de colonies européennes. Avec la Constitution et la Déclaration des droits [les deux séries d’amendements ajoutés après la formation de la Constitution elle-même] qui suivent, et qui ont acquis depuis une grande importance symbolique, il ne s’agit de rien de moins que la naissance d’une nation qui bientôt fascinera, notamment en Europe. Aujourd’hui encore, la lecture de ces textes est très utile pour comprendre les Etats-Unis.

Benjamin Guérif, “Postface” in Nous le peuple – La déclaration d’indépendance et La constitution américaine, Gallmeister, Paris, 2018, p. 59

F.

Familiarity with history of civilization and myths by Sigmund Freud

The study of the sexuality of children and its transformations up to maturity has also given us the key to an understanding of what are known as the sexual perversions, which people used always to describe with all the requisite indications of disgust but whose origin they were never able to explain. The whole topic is of uncommon interest, but for the purposes of our conversation there is not much sense in telling you more about it. To find one’s way about in it one of course needs anatomical and physiological knowledge, all of which is unfortunately not to be acquired in medical schools. But a familiarity with the history of civilization and with mythology is equally indispensable.

Sigmund Freud, The Question of Lay Analysis, Tra. J. Strachey, 1926

L’étude de la sexualité infantile et de ses transformations jusqu’à la maturité nous a également donné la clef permettant de comprendre ce qu’on nomme perversions sexuelles, que l’on avait coutume de décrire toujours avec les marques requises du dé- goût, mais dont on ne pouvait pas expliquer l’instauration. Tout ce domaine est d’un immense intérêt, mais étant donné les buts assignés à nos entretiens il ne rimerait à rien de vous en dire plus à ce sujet. Pour s’y retrouver, on a besoin naturellement de connaissances anatomiques et physiologiques qu’on ne peut malheureusement pas toutes acquérir à l’école de médecine, mais la familiarité avec l’histoire des civilisations et la mythologie est également indispensable.

Sigmund Freud, La question de l’analyse profane, 1927

Sigmund Freud, La question de l’analyse profane (1927), Gallimard, Paris, 1985, pp. 71 – 72

L.

Listening to art : training of psychoanalysts by Laurie Laufer

Listening to works of art would thus also contribute to the training / education, as Freud and then Lacan discussed, of psychoanalysts.

Entendre les œuvres d’art participerait donc aussi de la formation, telle que Freud puis Lacan l’évoquaient, des analystes.

Laurie LauferMurmures de l’art la psychanalyse – Impressions analytiques, Hermann, Paris, 2021, p. 13

Laurie LauferMurmures de l’art la psychanalyse – Impressions analytiquesHermann, Paris, 2021, p. 9

A.

Art-works convey equivocation by Laurie Laufer

Art-works read or seen convey equivocation, the fragmentary, the gripping, and the inarticulate, aspects that belong to analytical exercise.

Les œuvres lues ou vues font entendre l’équivoque, le fragmentaire le saisissant et l’inarticulé, ce qui relève de l’exercice analytique.

Laurie LauferMurmures de l’art la psychanalyse – Impressions analytiques, Hermann, Paris, 2021, p. 9

Laurie LauferMurmures de l’art la psychanalyse – Impressions analytiques, Hermann, Paris, 2021, p. 9

C.

Civilization imposes restrictions by Sigmund Freud

The liberty of the individual is no gift of civilization. It was greatest before there was any civilization, though then, it is true, it had for the most part no value, since the individual was scarcely in a position to defend it. The development of civilization imposes restrictions on it, and justice demands that no one shall escape those restrictions. What makes itself felt in a human community as a desire for freedom may be their revolt against some existing injustice, and so may prove favourable to a further development of civilization; it may remain compatible with civilization. But it may also spring from the remains of their original personality, which is still untamed by civilization and may thus become the basis in them of hostility to civilization. The urge for freedom, therefore, is directed against particular forms and demands of civilization or against civilization altogether. It does not seem as though any influence could induce a man to change his nature into a termite’s. No doubt he will always defend his claim to individual liberty against the will of the group.

Sigmund Freud, Civilizations and its discontents, Trad. J. Strachey, W W Norton & Company, Inc, New-York, 1962 pp. 42 – 43

“La liberté individuelle n’est pas un bien de culture. C’est avant toute culture qu’elle était la plus grande, mais alors le plus souvent sans valeur, parce que l’individu était à peine en état de la défendre. Du fait du développement de la culture, elle connaît des restrictions et la justice exige que ces restrictions ne soient épargnées à personne. Ce qui bouillonne dans une communauté humaine en tant que poussée à la liberté peut être révolte contre une injustice existante et ainsi être favorable à un développement ultérieur de la culture, rester conciliable avec la culture. Mais cela peut aussi être issu du reste de la personnalité originelle, non domptée par la culture, et devenir ainsi le fondement de l’hostilité à la culture. La poussée à la liberté se dirige donc contre des formes et des revendications déterminées de la culture ou bien contre la culture en général. Il ne semble pas qu’en exerçant une quelconque influence on puisse amener l’homme à muer sa nature en celle d’un termite, il défendra sans doute toujours sa revendication de liberté individuelle contre la volonté de la masse.”

Sigmund Freud, Malaise dans la civilisation (1929),

Sigmund Freud, Malaise dans la culture (1929), Trad. Coté, Lainé, Stute-Cadiot, PUF, Paris, 1995, p. 39

R.

Reasonable advice into unreasonable results by Raymond Aron

History is not predictable, accidents happen and passions can turn reasonable advice into unreasonable results. But perhaps there is a solution, the real solution, the only solution: it is to say that, even in times of disaster, even in times of political religion, there is one human activity that is perhaps more important than politics: the search for Truth.

Raymond Aron, 1952

Car l’histoire n’est pas prévisible, les accidents sont multiples et les passions peuvent transformer les conseils raisonnables en résultats déraisonnables. Il y a peut-être tout de même une solution, la vraie, l’unique solution: c’est de se dire que, même dans les périodes de catastrophes, même dans les périodes de religions politiques, il y a une activité de l’homme qui est peut-être plus importante que la politique: c’est la recherche de la Vérité.

Raymond Aron, “Histoire et conception de l’histoire” in Introduction à la philosophie politique (1952), Editions de Fallois, Le Livre de Poche, Paris, 1997, p. 245

Raymond Aron, “Histoire et conception de l’histoire” in Introduction à la philosophie politique (1952), Editions de Fallois, Le Livre de Poche, Paris, 1997, p. 245

R.

Reasonable order of human coexistence by Raymond Aron

These struggles, in the optimistic conception of history, will ultimately lead to the reconciliation of mankind with nature and among themselves. It is an optimism about history, not about man, for it is not because men are reasonable that we will ultimately achieve something reasonable: it is through human passions that the reasonable order of human coexistence will be born.

Raymond Aron, 1952

Ces luttes, dans la conception optimiste de l’histoire, conduiront finalement à la réconciliation des hommes avec la nature et entre eux. C’est un optimisme sur l’histoire et non pas sur l’homme, car ce n’est pas parce que les hommes sont raisonnables qu’on arrivera finalement à quelque chose de raisonnable : c’est à travers les passions humaines que naîtra l’ordre raisonnable de la coexistence humaine.

Raymond Aron, “Histoire et conception de l’histoire” in Introduction à la philosophie politique (1952), Editions de Fallois, Le Livre de Poche, Paris, 1997, p. 226

Raymond Aron, “Histoire et conception de l’histoire” in Introduction à la philosophie politique (1952), Editions de Fallois, Le Livre de Poche, Paris, 1997, p. 226

H.

Human history and individual reason by Raymond Aron

Nothing was more seemingly unreasonable than Hitler’s war, and nothing seemed more reasonable to the Communists who found that it could be used to spread Sovietism in Eastern Europe. Nothing seemed wiser than to avoid the risk of war in 1938; nothing seemed more unreasonable when war broke out a year later. Human history is made up, indefinitely, of actions, each of which can be explained individually, but the result of which seems to have little or nothing to do with people, individually or collectively.

Raymond Aron, 1952

Rien n’était en apparence plus déraisonnable que la guerre d’Hitler, et rien n’a paru plus raisonnable aux yeux des communistes qui ont trouvé qu’elle pouvait servir à répandre le soviétisme dans l’est de l’Europe. Rien n’était plus sage en apparence que d’éviter le risque de guerre en 1938: rien n’a paru plus déraisonnable quand la guerre a éclaté un an après. L’histoire humaine est faite, indéfiniment, d’actions dont chacune est explicable en particulier, mais dont le résultat paraît presque sans rapport avec les hommes, individuellement ou collectivement.

Raymond Aron, “Histoire et conception de l’histoire” in Introduction à la philosophie politique (1952), Editions de Fallois, Le Livre de Poche, Paris, 1997, p. 225

Raymond Aron, “Histoire et conception de l’histoire” in Introduction à la philosophie politique (1952), Editions de Fallois, Le Livre de Poche, Paris, 1997, p. 225

H.

Human drives are similar to themselves by Raymond Aron

It is enough to assume these elementary traits of human nature, it is enough to assume that what the psychoanalyst calls the human drives are similar to themselves, for the fundamental data of the coexistence of men in society, that is to say the formal problems of the social order and the political order, to remain basically similar. And if this is the case, there is the possibility of good or bad regimes, that is to say better or less good regimes, there is the possibility, in exceptional phases, of a satisfactory equilibrium, but there is not even the possibility of conceiving of an end to the struggles between men, that is to say this kind of stabilisation of the political and social order which is the dream of those who believe in the end of History.

Raymond Aron, 1952

Il suffit de supposer ces traits élémentaires de la nature humaine, il suffit de supposer ce que le psychanalyste appelle les pulsions humaines semblables à elles-mêmes, pour que les données fondamentales de la coexistence des hommes en société, c’est-à-dire les problèmes formels de l’ordre social et de l’ordre politique, restent en leur fond semblables. Et si tel est le cas, il y a possibilité de régimes bons ou mauvais, c’est-à-dire meilleurs ou moins bons, il y a possibilité, dans des phases exceptionnelles, d’équilibre satisfaisant, mais il n’y a pas possibilité même de concevoir la fin des luttes des hommes entre eux, c’est-à-dire cette espèce de stabilisation de l’ordre politique et social qui est le rêve de ceux qui croient à la fin de l’Histoire

Raymond Aron, “Histoire et conception de l’histoire” in Introduction à la philosophie politique (1952), Editions de Fallois, Le Livre de Poche, Paris, 1997, p. 239

Raymond Aron, “Histoire et conception de l’histoire” in Introduction à la philosophie politique (1952), Editions de Fallois, Le Livre de Poche, Paris, 1997, p. 239

J.

Jouissance of the Other : the desexualisation by Alain Didier Weill

I think the last point we can make is to point out that this point of jouissance, which seems to me to be what Lacan articulates as the jouissance of the Other, is precisely the point of maximum desexualisation… I would say total, superior, sublime, sublime in the sense of sublimation… it is indeed through this point that sublimation has to do with desexualisation and jouissance.


Je crois que le dernier point que l’on peut avancer, c’est de faire remarquer que a point de jouissance qui me parait être ce que Lacan articule être de la jouissance de l’Autre, est précisément le point de désexualisation maximum… je dirais total, supérieur, sublime, sublime au sens de sublimation…cet c’est bien par ce point là que la sublimation a affaire à la désexualisation et à la jouissance.

Alain Didier Weill, “Intervention d’Alain Didier Weill” in Le séminaire de Jacques Lacan livre XXIV : L’insu que sait de l’une-bévue s’aile à mourre (1976-1977), Inédit, Staferla, p. 25

H.

Holophrastic by Trésors de la langue française

holophrastic (-phrastic, from gr. φράσις “utterance”), ling. Holophrastic language. “Language whose main characteristic is to agglomerate the whole sentence into a kind of single word” (after MAR. Lex. 1951). Where it [the word] appears alone in the discourse, it takes on a “holophrastic” characteristic, which has often been insisted on; this does not mean that it can limit itself to a precise meaning, but that it is integrated into a context like a secondary form to a principal form (SARTRE, Être et Néant, 1943, P. 597).

MAR. Lex. 1951 :

Holophrastic (language) [Holophrastische (Sprachen)].
This denomination is sometimes applied to languages more commonly called incorporating* to indicate that their main characteristic is to agglomerate the whole sentence into a single word (gr. holos = whole, phrasis = statement)

* Incorporating (languages) [Einverleibende, Inkorporiererende, Polysynthetische (Sprechen)].
Since W. von Humboldt, this denomination has been applied to those languages, also called agglomerating, encapsulating, holophrastic, polysynthetic, which so closely assemble the various expressions of concepts and relationships that it becomes almost impossible to distinguish the word from the sentence.



holophrastique (-phrastique, du gr. φράσις « énoncé »), ling. Langue holophrastique. « Langue dont la principale caractéristique est d’agglomérer la phrase entière en une sorte de mot unique » (d’apr. MAR. Lex. 1951). Là où il [le mot] paraît seul dans le discours, il prend un caractère « holophrastique », sur lequel on a sou vent insisté; cela ne signifie pas qu’il puisse se limiter de lui-même à un sens précis, mais qu’il est intégré à un contexte comme une forme secondaire à une forme principale (SARTRE, Être et Néant, 1943, P. 597)

“HOL(O)- I. A. – holophrastique” in Trésors de la langue française – Dictionnaire de la langue du XIXème et du XXème siècle, CNRS, Paris, 1981, p. 868

Holophrastiques (langue) [Holophrastische (Sprachen)].
Dénomination appliquée parfois aux langues dites plus communément incorporantes* pour indiquer ont pour principale caractéristique d’agglomérer la phrase entière en une sorte de mot unique (gr. holos = entier, phrasis = énoncé)

* Incorporantes (langues) [Einverleibende, Inkorporiererende, Polysynthetische (Sprechen)].
Dénomination appliquée depuis W. von Humboldt à celles des langues, dites aussi agglomérantes, encapsulantes, holophrastiques, polysynthétiques, qui assemblent si étroitement les diverses expressions des concepts et des rapports qu’il devient presque impossible de distinguer le mot de la phrase.

Jules Marouzeau, Lexique de la terminologie linguistique, Librairie Orientaliste Paul Geuthner, Paris, 1933, pp. 92-93, 98-99

D.

Discourse of a semblance by Jacques Lacan

In any case, if I put forward, put forward – which all the same demands a certain cheek – the title D’un discours qui ne serait pas du semblant, it was to get you to sense, and so have you, that discourse as such, is always the discourse of a semblance. And that if there is something somewhere which get authorisation of the jouissance, precisely, it is to pretend (faire semblant). It’s from this starting point from where we may be able to conceive that something we can’t reach here only, the more-to-enjoy (more-to-come / plus-de-jouir )

Jacques Lacan, … Or Worse – The Seminar Book XIX, Polity Press, 2018

Quoi qu’il en soit, si j’ai émis, ce qui est tout de même d’un certain culot, le titre D’un discours qui ne serait pas du semblant, c’était pour vous faire sentir, et vous l’avez senti, que le discours comme tel est toujours discours du semblant. S’il y a quelque part quelque chose qui s’autorise de la jouissance, c’est justement de faire semblant. C’est de ce départ qu’on peut arriver à concevoir ce quelque chose que nous ne pouvons attraper que là, le plus-de-jouir.

Jacques Lacan, …ou pire – Le séminaire livre XIX (1971-1972), Editions du Seuil, 2011, Paris, p. 226

Jacques Lacan, …ou pire – Le séminaire livre XIX (1971-1972), Editions du Seuil, 2011, Paris, p. 226

O.

One word for another by Montaigne

We exchange one word for another, often for one less known.

Michel de Montaigne, “13.Experience” in Essays Book III (1588), Bennett, 2017, p. 162
Michel de Montaigne

On échange un mot pour un autre, et souvent plus inconnu.

Michel de Montaigne, “Chapitre XIII” in Les Essais Livre III (1588), Quadrige PUF, 1992, p. 1069

Michel de Montaigne, “Chapitre XIII” in Les Essais Livre III (1588), Quadrige PUF, 1992, p. 1069

T.

The pousse-à-la-femme by Jacques Lacan

I could here, by developing the inscription I have made through a hyperbolic function, of Schreber‘s psychosis, demonstrate the sardonic effect of the push-to-the-woman (pousse-à-la-femme) that is identified of the first quantifier: having made it clear that it is from the irruption of A-father as without reason, that the effect felt as of forcing is precipitated here, in the field of an Other to be thought as to every sense the most estranged.


Je pourrais ici, à développer l’inscription que j’ai faite par une fonction hyperbolique, de la psychose de Schreber, y démontrer dans ce qu’il a de sardonique l’effet de pousse-à-la-femme qui se spécifie du premier quanteur: ayant bien précisé que c’est de l’irruption d’Un-père comme sans raison, que se précipite ici l’effet ressenti comme de forçage, au champ d’un Autre à se penser comme à tout sens le plus étranger.

Jaques Lacan, “L’étourdit” in Autres écrits (14 juillet 1972), Seuil, Paris, 2001, p.466

J.

Jouissance as a form of evil and moral law by Jacques Lacan

The first concerns the individual who is placed in the situation of being executed on his way out, if he wants to spend time with the lady whom he desires unlawfully – it’s not a waste of time to emphasize this, because even the apparendy simplest details consdtute traps. […] Thereupon, Kant, our dear Kant, tells us in all his innocence, his innocent subterfuge, that in the first case everyone, every man of good sense, will say no. For the sake of spending a night with a woman, no one would be mad enough to accept an outcome that would be fatal to him, since it isn’t a ques- tion of combat but of death by hanging. For Kant, the answer to the question is not in doubt. […] Can’t we stop here and offer our critique? The striking significance of the first example resides in the fact that the night spent with the lady is paradoxically presented to us as a pleasure that is weighed against a punishment to be undergone; it is an opposition which homogenizes them. There is in terms of pleasure a plus and a minus. […] But it is important to note that one only has to make a conceptual shift and move the night spent with the lady from the category of pleasure to that of jouissance, given that jouissance implies precisely the acceptance of death – and there’s no need of sublimation – for the example to be ruined. In other words, it is enough for jouissance to be a form of evil, for the whole thing to change its character completely, and for the meaning of the moral law itself to be completely changed. Anyone can see that if the moral law is, in effect, capable of playing some role here, it is precisely as a support for the jouissance involved; it is so that the sin becomes what Saint Paul calls inordinately sinful. That’s what Kant on this occasion simply ignores.

Jacques Lacan, The Ethics of Psychoanalysis 1959-1960 - The Seminar Book VII, Tr. Dennis Porter, Tavistock/Routledge, 1992, pp. 188-189

Son exemple est composé, je vous le rappelles de deux historiettes. La première concerne le personnage mis en posture d’être à la sortie exécuté, s’il veut aller trouver la dame qu’il désire illégalement – il n’est pas inutile de le souligner, car tous les détails apparemment les plus simples jouent ici le rôle de piège. […] La-dessus, Kant, le cher Kant dans toute son innocence, sa rouerie innocente, nous dit que dans le premier cas, tout un chacun, tout homme de bon sens, dira non. Personne n’aura la folie, pour passer une huit avec sa belle, de courir à une issue fatale, puisqu’il ne s’agit pas seulement d’une lutte, mais d’une exécution au gibet. Pour Kant, la question ne fait pas un pli. […] Ne pouvons-nous ici nous arrêter, et porter la critique ? La portée saisissante du premier exemple repose sur ceci, que la nuit passée avec la dame nous est paradoxalement présentée comme un plaisir, mis en balance avec la peine à subir, dans une opposition qui les homogénéise. Il y a un plus et un moins en termes de plaisir. […] Mais remarquez ceci – il suffit que, par un effort de conception, nous fassions passer la nuit avec la dame de la rubrique du plaisir à celle de la jouissance, en tant que la jouissance – nul besoin de sublimation pour cela – implique précisément l’acceptation de la mort, pour que l’exemple soit anéanti. Autrement dit, il suffit que la jouissance soit un mal pour que la chose change complètement de face, et que le sens de la loi morale soit dans l’occasion complètement changé. Tout un chacun s’apercevra en effet que, si la loi morale est susceptible de jouer ici quelque rôle, c’est précisément à servir d’appui à cette jouissance, à faire que le péché devienne ce que Saint Paul appelle démesurément pécheur. Voilà ce qu’en cette occasion Kant ignore tout simplement.

Jacques Lacan, “L’amour du prochain” in L’éthique de la psychanalyse Le Séminaire Livre VII (23 mars 1960), Editions du Seuil, 1986, pp. 229-230

Jacques Lacan, “L’amour du prochain” in L’éthique de la psychanalyseLe Séminaire Livre VII (23 mars 1960), Editions du Seuil, 1986, pp. 229-230

T.

Truth of the criminal : anthropological aspect by Jacques Lacan

No one knows it better than the psychoanalyst who, in the intelligence of what his subject confides to him as in the manoeuvring of behaviour conditioned by technique, acts by a revelation whose truth conditions its effectiveness. Is the search for truth not also what criminology is all about in the judicial system, and also what unifies its two facets: the truth of the crime in its police aspect, and the truth of the criminal in his anthropological aspect? What contribution to this research can the technique that guides our dialogue with the subject and the concepts that our experience has defined in psychology make? This is the problem that will be our issue today: not so much to state our contribution to the study of delinquency – set out in the other reports – as to set its legitimate limits, and certainly not to propagate the letter of our doctrine without concern for method, but to rethink it, as we are required to do ceaselessly, in function of a new object.


Nul ne le sait mieux que le psychanalyste qui, dans l’intelligence de ce que lui confie son sujet comme dans la manœuvre des comportements conditionnés par la technique, agit par une révélation dont la vérité conditionne l’efficace. La recherche de la vérité n’est-elle pas d’autre part ce qui fait l’objet de la criminologie dans l’ordre des choses judiciaires, et aussi ce qui unifie ses deux faces: vérité du crime dans sa face policière, vérité du criminel dans sa face anthropologique ? De quel apport à cette recherche peuvent être la technique qui guide notre dialogue avec le sujet et les notions que notre expérience a définies en psychologie, c’est le problème qui fera aujourd’hui notre propos: moins pour dire notre contribution à l’étude de la délinquance — exposée dans les autres rapports — que pour en poser les limites légitimes, et certes pas pour propager la lettre de notre doctrine sans souci de méthode, mais pour la repenser, comme il nous est commandé de le faire sans cesse, en fonction d’un nouvel objet.

Jacques Lacan, “Introduction théorique aux fonctions de la psychanalyse en criminologie” in Écrits I, Paris, Seuil Points, 1999, pp. 124-125

C.

Che vuoi? by M.-C. Laznik

It’s from Cazotte‘s novel The Devil In Love that Lacan borrows this question, which for him forms the basis of the question of the superego in articulation with jouissance, che vuoi? This “What do you want?” which so easily turns into “What does the Other want from me?”, and which clinically often takes the form of “What does she want from me?” This devil in love enables him to imaginaryize the structure of the superego; we find the same order of: jouis! (enjoy!/come!) An imperative to which Lacan points out that man can only respond with a j’ouis! (i hear) because his jouissance is forbidden to him, as we’ve seen, for structural reasons. This double figure of the superego – an idea Lacan holds dear – of being the one who forbids and punishes, while also being the one who orders jouissance, seems consistent with his conception of jouissance as directly articulated to the forbidden.

Marie-Christine Laznik-Penot, “La mise en place du concept de Jouissance chez Lacan” in Revue Française de Psychanalyse – Plaisir et Jouissance – t. 54, PUF, 1990, p. 70

C’est au roman de Cazotte, Le diable amoureux, que Lacan emprunte cette interrogation, qui fonde pour lui la question du surmoi en articulation avec la jouissance, che vuoi? Ce : « que veux-tu? » qui se retourne si facilement dans un : « Que me veut-il, l’Autre, là? »; et qui cliniquement prend souvent la forme d’un : « Que me veut-Elle? » Ce Diable amoureux, lui permet d’imaginariser la structure du surmoi; nous retrouvons le même ordre du : jouis! Impératif auquel Lacan fait remarquer que l’homme ne peut répondre que par un j’ouis! car sa jouissance lui est interdite, comme nous l’avons vu, pour des raisons de structure. Cette double figure du surmoi — idée à laquelle Lacan tient beaucoup — d’être celui qui interdit et punit, tout en étant aussi celui qui ordonne la jouissance, semble consistante avec sa conception de la jouissance comme directement articulée à l’interdit.

Marie-Christine Laznik-Penot, “La mise en place du concept de Jouissance chez Lacan” in Revue Française de Psychanalyse – Plaisir et Jouissance – t. 54, PUF, 1990, p. 70

Marie-Christine Laznik-Penot, “La mise en place du concept de Jouissance chez Lacan” in Revue Française de Psychanalyse – Plaisir et Jouissance – t. 54, PUF, 1990, p. 70

T.

This Other would enjoy / come by M. C. Laznik

If the subject put himself in the place of this missing object of the Other, and if this Other existed, then this Other would enjoy/come, says Lacan. This assertion seems far from self-evident, but we can’t leave it aside if we want to tackle jouissance which, according to Lacan, is outside the phallic register, in particular mystical jouissance, where everything seems to revolve around this question. First of all, we need to take the question of lack in the Other not in its most easily representable terms (the castration of the one who occupies this place in the Other, namely the mother) but at a more abstract level. This lack in the Other is what Lacan formulates as: there is no Other of the Other*, that is, there is no ultimate truth of which this Other would be the bearer. This gives us a glimpse of how the making jouir, that is, offering oneself to it in order to fill its lack, could have a direct link with religious discourse, for which the whole question is precisely that there should be a guarantor of this utterance of the Other. But the clinic seems to indicate many other appeals to this Almighty Father. We might wonder whether this obscenity of the over-completeness of the demonic figure might not be there to conceal the unbearable failure of the paternal function. This is the direction the Freudian text seems to point to.

Marie-Christine Laznik-Penot, “La mise en place du concept de Jouissance chez Lacan” in Revue Française de Psychanalyse – Plaisir et Jouissance – t. 54, PUF, 1990, p. 71

Si le sujet se mettait en place de cet objet manquant à l’Autre, et si cet Autre existait, alors cet Autre jouirait, dit Lacan. Cette affirmation semble loin d’être évidente, on ne peut néanmoins pas la laisser de côté si l’on veut aborder les jouissances qui seraient, selon Lacan, hors du registre phallique, en particulier la jouissance mystique où c’est autour de cette question que tout semble pivoter. Il nous faut tout d’abord prendre là la question du manque dans l’Autre non plus dans son repérage le plus aisément représentable (la castration de celle qui occupe cette place de l’Autre, à savoir la mère) mais à un niveau plus abstrait. Ce manque dans l’Autre est ce que Lacan formule comme : il n’y a pas d’Autre de l’Autre*, c’est-à-dire qu’il n’y a aucune vérité dernière dont cet Autre serait le porteur. On peut entrevoir là comment le faire jouir, c’est-à-dire s’offrir à lui pour combler son manque, pourrait avoir un lien direct avec le discours religieux, pour lequel toute la question est justement qu’il y ait un garant de cette parole de l’Autre. Mais la clinique semble indiquer bien d’autres appels à ce Père Toutpuissant. On pourrait se demander si cette obscénité de la surcomplétude de la figure démoniaque ne viendrait pas là comme pour occulter l’insupportable de la défaillance de la fonction paternelle. C’est la direction que semble indiquer le texte freudien.

Marie-Christine Laznik-Penot, “La mise en place du concept de Jouissance chez Lacan” in Revue Française de Psychanalyse – Plaisir et Jouissance – t. 54, PUF, 1990, p. 71

Marie-Christine Laznik-Penot, “La mise en place du concept de Jouissance chez Lacan” in Revue Française de Psychanalyse – Plaisir et Jouissance – t. 54, PUF, 1990, p. 71

* Lacan, “Subversion du sujet et dialectique du désir” in Ecrits, p. 818.

W.

What happens psychically for Margaret by M.-C. Laznik

What happens psychically for Margaret seems to me to have consequences that can be spotted algebraically: if she moves from this place of a-object, the cause of Christ’s Passion, to that of the raw subject of suffering S(Ⱥ), these two places collide with each other, which has the effect of short-circuiting all fantasmatic intersubjectivity and producing, as an algebraic result, a situation logically prior to the identification of lack in the big Other, that is to say, a big Other without a bar: S(Ⱥ)+ a = S(A). What we can spot, in the elements we have seen from the graph of desire: this little a – whose loss marked the big Other as symbolically crossed out – returns to be One in the big Whole. In this absolute sameness of positions, she achieves ecstasy. Since nothing is missing from the Other, there is no more fantasy, no more subject of desire. She is love in which she consumes herself.

Marie-Christine Laznik-Penot, “La mise en place du concept de Jouissance chez Lacan” in Revue Française de Psychanalyse – Plaisir et Jouissance – t. 54, PUF, 1990, p. 77

Ce qui se passe psychiquement pour Marguerite me semble avoir des conséquences algébriquement repérables : si elle passe de cette place d’objet a, cause de la Passion du Christ, à celle du sujet brut de la souffrance S(Ⱥ), ces deux places se collabent entre elles, ce qui a pour effet de court-circuiter toute intersubjectivité fantasmatique et de produire comme résultat algébrique une situation logiquement antérieure au repérage du manque dans le grand Autre, c’est-à-dire un Grand Autre sans barre : S(Ⱥ)+ a = S(A). Ce que nous pouvons repérer, dans les éléments que nous avons vus du graphe du désir : ce petit a — dont la perte marquait le grand Autre comme symboliquement barré — revient faire Un dans le grand Tout. Dans cette mêmeté absolue des positions, elle atteint l’Extase. Puisque rien ne manque à l’Autre, il n’y a plus de fantasme, plus de sujet du désir. Elle est amour dans lequel elle se consume.

Marie-Christine Laznik-Penot, “La mise en place du concept de Jouissance chez Lacan” in Revue Française de Psychanalyse – Plaisir et Jouissance – t. 54, PUF, 1990, p. 77

Marie-Christine Laznik-Penot, “La mise en place du concept de Jouissance chez Lacan” in Revue Française de Psychanalyse – Plaisir et Jouissance – t. 54, PUF, 1990, p. 77

J.

Jouissance of woman insofar as it is extra by Jacques Lacan

I believe in the jouissance of woman insofar as it is extra (en plus), as long as you put a screen in front of this “extra” until I have been able to properly explain it. What was attempted at the end of the last century, in Freud‘s time, what all sorts of decent souls around Charcot and others were trying to do, was to reduce mysticism to questions of cum (affaires de foutre). If you look closely, that’s not it at all. Doesn’t this jouissance one experiences and yet knows nothing about put us on the path of ex-sistence? And why not interpret one face of the Other, the God face, as based on feminine jouissance?

Jacques LacanEncore The Seminar Book XX, Trad. Bruce Fink, Norton & Company, New York, 1998, p. 77

Je crois à la jouissance de la femme en tant qu’elle est en plus, à condition que cet en plus, vous y mettiez un écran avant que je l’aie bien expliqué. Ce qui se tentait à la fin du siècle dernier, au temps de Freud, ce qu’ils cherchaient, toutes sortes de braves gens dans l’entourage de Charcot et des autres, c’était de ramener la mystique à des affaires de foutre. Si vous y regardez de près, ce n’est pas ça du tout. Cette jouissance qu’on éprouve et dont on ne sait rien, n’est-ce pas ce qui nous met sur la voie de l’ex-sistence ? Et pourquoi ne pas interpréter une face de l’Autre, la face Dieu, comme supportée par la jouissance féminine ?

Jacques Lacan, “Dieu et la jouissance de La Femme – 20 février 1973” in Encore – Le Séminaire livre XX (1972 – 1973), Editions du Seuil, 1999, p. 98

Jacques Lacan, “Dieu et la jouissance de La Femme” in Encore – Le Séminaire livre XX (1972 – 1973), Editions du Seuil, 1999, p. 98

S.

So-called formulae of sexuation by M.-C. Laznik

I can’t expose here the quanteurs of the so-called formulae of sexuation, from which this question derives, because that would require too long a diversion; I’ll just point out that, for Lacan, human subjects are situated on one side or the other of this formula, according to the relationship they have with the phallic question and what they aim for in their desire. Those on the masculine side of the formula rely on the phallic question to aim for the a object that causes desire in their partner. Those on the feminine side of the formula aim at two different points at the same time: the phallus in their partner, but at the same time S(Ⱥ), i.e. the signifier of the barred big Other, which is not unrelated to jouissance, as we have already seen. For Lacan, the real sex is not decisive for a subject as to which side he or she will occupy in the formula. I once wrote an article on W. Kleist’s Penthesileia, trying to show that it is situated on the masculine side of this formula; and Lacan affirmed that Saint Jean de la Croix was situated on the feminine side. If we suppose, in fact, that Jean experienced mystical jouissance, and if we want to suppose that it is a jouissance additional to phallic jouissance, we are obliged to locate it on the feminine side, by supposing a subject who would not ‘squint’, that is, for whom the phallic question would be of no interest. But this is not self-evident, and the question of the existence of this additional jouissance, which would leave the phallic question out of the equation, is not the subject’s main concern, question out of play, does not meet with unanimous approval in Lacanian circles*. For this would presuppose an jouissance that would remain ‘outside sex’, that is, outside the mark of difference, and therefore outside the lack whose place is symbolised by the great Φ.

Marie-Christine Laznik-Penot, “La mise en place du concept de Jouissance chez Lacan” in Revue Française de Psychanalyse – Plaisir et Jouissance – t. 54, PUF, 1990, p. 72

Je ne peux pas exposer ici les quanteurs des formules dites de la sexuation, desquelles dérive cette question, car cela exigerait un trop long détour; je ne ferai que rappeler que, pour Lacan, les sujets humains se situent d’un côté ou de l’autre de cette formule, en fonction du rapport qu’ils entretiennent avec la question phallique et de ce qu’ils visent dans leur désir. Ceux qui se situent du côté masculin de la formule s’appuient sur la question phallique pour viser chez leur partenaire l’objet a cause du désir. Ceux qui se situent du côté féminin visent en même temps deux points différents : le phallus chez leur partenaire, mais en même temps S(Ⱥ), c’est-à-dire le signifiant du grand Autre barré, ce qui n’est pas sans lien avec la jouissance, comme nous l’avons déjà vu. Pour Lacan, le sexe réel n’est pas déterminant pour un sujet quant au côté qu’il viendra à occuper dans la formule. J’ai écrit autrefois un article sur la Penthésilée de W. Kleist, en essayant de montrer qu’elle se situe du côté masculin de cette formule; et Lacan a affirmé que saint Jean de la Croix, lui, s’y situait du côté féminin. Si l’on suppose, en effet, que Jean a connu la jouissance mystique, et si l’on veut supposer qu’il s’agit d’une jouissance supplémentaire à la jouissance phallique, nous sommes bien obligés de la repérer du côté féminin, en supposant un sujet qui ne « loucherait » pas, c’est-à-dire pour qui la question phallique serait sans intérêt. Mais cela n’est pas évident et la question de l’existence de cette jouissance supplémentaire, qui laisserait hors jeu la question phallique, ne fait pas l’unanimité dans le milieu lacanien*. Car cela supposerait, en effet, une jouissance qui resterait « hors sexe », c’est-à-dire hors de la marque de la différence, et donc du manque dont la place est symbolisée par grand Φ.

Marie-Christine Laznik-Penot, “La mise en place du concept de Jouissance chez Lacan” in Revue Française de Psychanalyse – Plaisir et Jouissance – t. 54, PUF, 1990, p. 72

Marie-Christine Laznik-Penot, “La mise en place du concept de Jouissance chez Lacan” in Revue Française de Psychanalyse – Plaisir et Jouissance – t. 54, PUF, 1990, p. 72


*FN: We have to start from the very statement: woman as ‘not all’. Indeed, on the masculine side of the formula of sexuation the phallic question arises for every subject, whereas on the feminine side there is a negativation of the quantifier that can be read either as: it is not for every subject that the phallic question arises, or else: it does not arise for the whole subject (she is not all subject to the
phallic question).

*NdBP : Il nous faut partir de l’énoncé même : la femme comme « pas toute ». En effet, du côté masculin de la formule de la sexuation la question phallique se pose pour tout sujet, tandis que du côté féminin il y a une négativation du quanteur qui peut se lire soit comme : ce n’est pas pour tout sujet que la question phallique se pose, ou bien : elle ne se pose pas pour le sujet tout entier (elle n’est pas toute soumise à la
question phallique).

T.

To understand is to condemn by Jacques Lacan

Such is the crime of the Papin sisters, by the emotion it arouses and which exceeds its horror, by its value as an atrocious image, but symbolic down to its most hideous details: the most worn metaphors of hatred: “I would tear out her eyes” receive their literal execution. The popular conscience reveals the meaning it gives to this hatred by applying the maximum penalty here, as the ancient law did to the crime of slavery. Perhaps, as we shall see, it is mistaken about the real meaning of the act. But for the benefit of those who are frightened by the psychological path on which we are embarking in the study of responsibility, let us observe that the adage “to understand is to forgive” is submitted to the limits of each human community and that, outside these limits, to understand (or to believe we understand) is to condemn. The intellectual content of delirium appears to us, as we have said, as a superstructure that both justifies and negates the criminal impulse. We therefore conceive it as submitted to the variations of this drive, to the fall which results, for example, from its satisfaction in the princeps case of the particular type of paranoia we have described (the Aimée case), the delusion vanishes with the realisation of the aims of the act. We should not be surprised that this was also the case during the first months following the sisters’ crime. The correlative defects of the classic descriptions and explanations have for a long time led to a disregard for the existence, however crucial, of such variations, by affirming the stability of paranoid delusions, whereas there is only constancy of structure. This conception leads the experts to erroneous conclusions, and explains their embarrassment in the presence of numerous paranoid crimes, where their feeling of reality emerges in spite of their doctrines, but only engenders uncertainty in them.

Jacques Lacan, “Motif du crime paranoïaque : le crime des sœurs Papin” in Premiers écrits (1933), Le Seuil, Paris, 2023, pp. 98-99

Tel est ce crime des sœurs Papin, par l’émotion qu’il soulève et qui dépasse son horreur, par sa valeur d’image atroce, mais symbolique jusqu’en ses plus hideux détails: les métaphores les plus usées de la haine : « Je lui arracherais les yeux » reçoivent leur exécution littérale. La conscience populaire révèle le sens qu’elle donne à cette haine en appliquant ici le maximum de la peine, comme la loi antique au crime des esclaves. Peut-être, nous le verrons, se trompe-t-elle ainsi sur le sens réel de l’acte. Mais observons, à l’usage de ceux qu’effraie la voie psychologique où nous engageons l’étude de la responsabilité, que l’adage « comprendre, c’est pardonner » est soumis aux limites de chaque communauté humaine et que, hors de ces limites, comprendre (ou croire comprendre), c’est condamner. Le contenu intellectuel du délire nous apparaît, nous l’avons dit, comme une superstructure à la fois justificative et négatrice de la pulsion criminelle. Nous le concevons donc comme soumis aux variations de cette pulsion, à la chute qui résulte par exemple de son assouvissement dans le cas princeps du type particulier de paranoïa que nous avons décrit (le cas Aimée), le délire s’évanouit avec la réalisation des buts de l’acte. Nous ne nous étonnerons pas qu’il en ait été de même pendant les premiers mois qui ont suivi le crime des sœurs. Les défauts corrélatifs des descriptions et des explications classiques, ont longtemps fait méconnaître l’existence, pourtant capitale, de telles variations, en affirmant la stabilité des délires paranoïaques, alors qu’il n’y a que constance de structure cette conception conduit les experts à des conclusions erronées, et explique leur embarras en présence de nombreux crimes paranoïaques, où leur sentiment de la réalité se fait jour malgré leurs doctrines, mais n’engendre chez eux que l’incertitude.

Jacques Lacan, “Motif du crime paranoïaque : le crime des sœurs Papin” in Premiers écrits (1933), Le Seuil, Paris, 2023, pp. 98-99

Jacques Lacan, “Motif du crime paranoïaque : le crime des sœurs Papin” in Premiers écrits (1933), Le Seuil, Paris, 2023, pp. 98-99

P.

Paranoiacs expect love from all strangers by Sigmund Freud

The patient derived the facts of his attack from observing the smallest signs by which the woman’s completely unconscious coquetry had betrayed itself to him, where no one else would have seen anything. Sometimes she had inadvertently brushed her hand against the man next to her, sometimes she had tilted her face too far towards him and had given him a smile more familiar than if she were alone with her husband. He was extraordinarily attentive to all these manifestations of his unconscious and took pains to interpret them rigorously, so much so that in truth he was always right and could still appeal to analysis to confirm his jealousy. In truth, his anomaly was that he observed his wife’s unconscious too closely and attached far more importance to it than anyone else would have thought possible.
We should remember that persecuted paranoiacs behave in a very similar way. They too do not recognise anything indifferent in others and, in their delusion of relationship, solicit the smallest clues from others, from strangers. The meaning of this delusion of relationship is precisely that they expect something like love from all strangers but the others show them nothing of this kind, they laugh at them in their presence, brandish their canes and spit on the ground as they pass, and really this is what you do not do when you take the slightest friendly interest in the person in the neighbourhood. Or else, you only do this when that person is completely indifferent to you, when you can treat him or her like the air around you, and the paranoid is not so wrong, as far as the fundamental kinship of the concepts of ‘foreigner’ and ‘hostile’ is concerned, in feeling such indifference, in response to his or her demand for love, as hostility.

Sigmund Freud, “Certain neurotic mechanisms in jealousy, paranoia and homosexuality” in International Review of Psycho-Analysis, 4, 1–10, London, 1923

Le malade tirait les faits dont prenait donnée son accès, de l’observation des plus petits signes par où la coquetterie pleinement inconsciente de la femme s’était trahie pour lui, là où nul autre n’eût rien vu. Tantôt elle avait frôlé de la main par mégarde le monsieur qui était à côté d’elle, tantôt elle avait trop penché son visage vers lui et lui avait adressé un sourire plus familier que si elle était seule avec son mari. Pour toutes ces manifestations de son inconscient il montrait une attention extraordinaire et s’entendait à les interpréter avec rigueur, si bien qu’à vrai dire il avait toujours raison et pouvait encore en appeler à l’analyse pour confirmer sa jalousie. En vérité, son anomalie se réduisait à ce qu’il portait sur l’inconscient de sa femme une observation trop aiguë et qu’il y attachait beaucoup plus d’importance qu’il ne serait venu à l’idée de tout autre.
Souvenons nous que les paranoïaques persécutés se comportent de façon tout à fait analogue. Eux aussi ne reconnaissent chez autrui rien d’indifférent et, dans leur délire de relation, sollicitent les plus petits indices que leur livrent les autres, les étrangers. Le sens de ce délire de relation est précisément qu’ils attendent de tous les étrangers quelque chose comme de l’amour, mais les autres ne leur montrent rien de pareil, ils se gaussent en leur présence, brandissent leurs cannes et crachent aussi bien par terre sur leur passage, et réellement c’est là ce qu’on ne fait pas lorsqu’on prend à la personne qui est dans le voisinage le moindre intérêt amical. Ou alors, on ne fait cela que lorsque cette personne vous est tout à fait indifférente, lorsqu’on peut la traiter comme l’air ambiant, et le paranoïaque n’a, quant à la parenté foncière des concepts d’« étranger » et d’« hostile », pas si grand tort, en ressentant une telle indifférence, en réponse à son exigence amoureuse, à la façon d’une hostilité.

Sigmund Freud, “De quelques mécanismes névrotiques dans la jalousie, la paranoïa et l’homosexualité “(1922) in Premiers écrits , Le Seuil, Paris, 2023, pp. 133-134

Sigmund Freud, “De quelques mécanismes névrotiques dans la jalousie, la paranoïa et l’homosexualité “(1922) In Travaux et interventions / Jacques Lacan, trad. Jacques Lacan, Association Régionale de l’éducation permanente, Alençon, 1977

C.

Camouflage of motives : what delirium is by Jacques Lacan

The aggressive drive, which resolves itself in murder, thus appears as the affection that serves as the basis of psychosis. It can be said to be unconscious, which means that the intentional content that translates it into consciousness cannot manifest itself without a compromise with the social demands integrated by the subject, i.e. without a camouflage of motives, which is precisely what delirium is all about.

Jacques Lacan, “Motif du crime paranoïaque : le crime des sœurs Papin” in Premiers écrits (1933), Le Seuil, Paris, 2023, p. 97

La pulsion agressive, qui se résout dans le meurtre, apparaît ainsi comme l’affection qui sert de base à la psychose. On peut la dire inconsciente, ce qui signifie que le contenu intentionnel qui la traduit dans la conscience ne peut se manifester sans un compromis avec les exigences sociales intégrées par le sujet, c’est-à-dire sans un camouflage de motifs, qui est précisément tout le délire.

Jacques Lacan, “Motif du crime paranoïaque : le crime des sœurs Papin” in Premiers écrits (1933), Le Seuil, Paris, 2023, p. 97

Jacques Lacan, “Motif du crime paranoïaque : le crime des sœurs Papin” in Premiers écrits (1933), Le Seuil, Paris, 2023, p. 97

C.

C. Papin : “I was to be my sister’s husband” by Jacques Lacan

You need to have listened attentively to the strange declarations of such patients to know the madness that their shackled consciousness can construct around the enigma of the phallus and female castration. We can then recognize in the timid confessions of the so-called normal subject the beliefs he is keeping silent about, and which he thinks he is keeping silent about because he considers them puerile, whereas he is keeping silent because, without knowing it, he still adheres to them.
Christine’s comment: “I do believe that in another life I was to be my sister’s husband”, is reproduced in our patients by many fantastic themes that you just have to listen to get. What a long road of torture she must have traveled before the desperate experience of crime tore her from her other self, and after her first attack of hallucinatory delirium, in which she believes she sees her sister dead, dead no doubt from that blow, she cries out before the judge who confronts them, the words of passion unblinking : “Yes, say yes”.

Jacques Lacan, “Motif du crime paranoïaque : le crime des sœurs Papin” in Premiers écrits (1933), Le Seuil, Paris, 2023, p. 104

Il faut avoir prêté une oreille attentive aux étranges déclaration de tels malades pour savoir les folies que leur conscience enchaînée peut échafauder sur l’énigme du phallus et de la castration féminine. On sait alors reconnaître dans les aveux timides du sujet dit normal les croyances qu’il tait, et qu’il croit taire parce qu’il les juge puériles, alors qu’il se tait parce que sans le savoir il y adhère encore.
Le propos de Christine: “Je crois bien que dans une autre vie je devais être le mari de ma sœur”, est reproduit chez nos malades par maints thèmes fantastiques qu’il suffit d’écouter pour obtenir. Quel long chemin de torture elle a dû parcourir avant que l’expérience désespérée du crime la déchire de son autre soi-même, et qu’elle puisse, après sa première crise de délire hallucinatoire, où elle croit voir sa sœur morte, morte sans doute de ce coup, crier devant le juge qui les confronte, les mots de la passion dessillée : “Oui, dis oui”.

Jacques Lacan, “Motif du crime paranoïaque : le crime des sœurs Papin” in Premiers écrits (1933), Le Seuil, Paris, 2023, p. 104

Jacques Lacan, “Motif du crime paranoïaque : le crime des sœurs Papin” in Premiers écrits (1933), Le Seuil, Paris, 2023, p. 104

B.

Black woman is a product of historical forces by Calvin C. Hernton

The personality, or ego, of the black woman is a product of and a response to all of the historical forces of American society. Among these forces, racism, or white supremacy, has had the most powerful effect, shaping both the way whites treat and conceive of the black woman, and the very attitudes that black women have towards themselves.

Calvin C. HerntonSex And Racism in America (1965), Anchor Books , 1992, NYC, p. 133

La personnalité, ou le moi, de la femme noire est un produit et une réponse à toutes les forces historiques de la société américaine. Parmi ces forces, le racisme, ou suprématie blanche, a eu l’effet le plus puissant, façonnant à la fois la façon dont les Blancs traitent et conçoivent la femme noire, et l’attitude même des femmes noires envers elles-mêmes.

Calvin C. Hernton, Sex And Racism in America (1965), Anchor Books , 1992, NYC, p. 133

Calvin C. HerntonSex And Racism in America (1965), Anchor Books , 1992, NYC, p. 133

M.

Men and women so estranged in the USA by Calvin C. Hernton

There are terrible economic, racist, and sexual forces in the United States that have given the black woman a depraved concept of herself and have made her a “difficult” person to deal with. And contrary to what “nationalistic” blacks assert, there are black women just as there are white women – in America who are physically and psychologically almost impossible to bear in an intimate heterosexual relationship. If I were asked for counsel, I would advise black women – indeed, everyone in America to work for the obliteration of those forces in our society and culture that not only frustrate black men and women, but set the sexes at odds with each other in general. As Pearl Buck has lamented, nowhere in the world are men and women so estranged as in the United States.

Calvin C. HerntonSex And Racism in America (1965), Anchor Books , 1992, NYC, p. 143

De terribles forces économiques, racistes et sexuelles aux États-Unis ont donné à la femme noire une conception dépravée d’elle-même et ont fait d’elle une personne “difficile” à traiter. Et contrairement à ce qu’affirment les Noirs “nationalistes”, il existe en Amérique des femmes noires – tout comme des femmes blanches – qui sont physiquement et psychologiquement presque impossibles à supporter dans le cadre d’une relation hétérosexuelle intime. Si l’on me demandait conseil, je conseillerais aux femmes noires – en fait, à tous les Américains – d’œuvrer à l’anéantissement des forces qui, dans notre société et notre culture, non seulement frustrent les hommes et les femmes noirs, mais opposent les sexes en général. Comme l’a déploré Pearl Buck, nulle part dans le monde les hommes et les femmes ne sont aussi étrangers l’un à l’autre qu’aux États-Unis.

Calvin C. Hernton, Sex And Racism in America (1965), Anchor Books , 1992, NYC, p. 143

Calvin C. HerntonSex And Racism in America (1965), Anchor Books , 1992, NYC, p. 143

T.

There is but one race and it is the human race by Calvin C. Hernton

In fact, practically all modern scientists have virtually abandoned the business of classifying mankind into races, for they have come to the conclusion that there is but one race and it is, as Ruth Benedict has so inaptly put it, the human race.

Calvin C. HerntonSex And Racism in America (1965), Anchor Books , 1992, NYC, p. 174

En fait, presque tous les scientifiques modernes ont pratiquement abandonné l’idée de classer l’humanité en races, car ils sont arrivés à la conclusion qu’il n’y a qu’une seule race et qu’il s’agit, comme l’a si bien dit Ruth Benedict, de la race humaine.

Calvin C. Hernton, Sex And Racism in America (1965), Anchor Books , 1992, NYC, p. 174

Calvin C. HerntonSex And Racism in America (1965), Anchor Books , 1992, NYC, p. 174

R.

Racism is man-made by Calvin C. Hernton

Racism is a man-made, man-enforced phenomenon. Nobody, not even the Southerner, is born a racist. Racism may be defined as all of the learned behavior and learned emotions on the part of a group of people towards another group whose physical characteristics are dissimilar to the former group; behavior and emotions that compel one group to conceive of and to treat the other on the basis of its physical characteristics alone, as if it did not belong to the human race. People learn to discriminate, learn to segregate, learn to believe that whites are better than blacks, learn to think and fear that black men want to rape white women, learn to think of and to treat black females as though they were animals. When people live in a society where such things are formally and and informally taught and learned, and are practiced, it is inescapable that the ideology of racism does become a functional institution, organically interwoven with every other ideology and institution of that society. Thus, racism in America is as much a part of the “American way of life” as Protestantism or Big Business. I am referring to our social structure; our economic and political system; and the way power, jobs, and life opportunities are distributed in America on the basis of physical characteristics. When racism disappears, the nature of the American politico-economic system – the way power and jobs and the chances for the good life are distributed – will have changed.

Calvin C. HerntonSex And Racism in America (1965), Anchor Books , 1992, NYC, p. 178

Le racisme est un phénomène fabriqué par l’homme, imposé par l’homme. Personne, pas même le Sudiste, n’est né raciste. Le racisme peut être défini comme l’ensemble des comportements et des émotions acquis de la part d’un groupe de personnes à l’égard d’un autre groupe dont les caractéristiques physiques sont différentes de celles du premier groupe ; des comportements et des émotions qui obligent un groupe à concevoir et à traiter l’autre sur la base de ses seules caractéristiques physiques, comme s’il n’appartenait pas à la race humaine. Les gens apprennent à discriminer, à pratiquer la ségrégation, à croire que les Blancs sont meilleurs que les Noirs, à penser et à craindre que les hommes noirs veuillent violer les femmes blanches, à considérer et à traiter les femmes noires comme des animaux. Lorsque les gens vivent dans une société où de telles choses sont enseignées et apprises de manière formelle et informelle, et sont pratiquées, il est inévitable que l’idéologie du racisme devienne une institution fonctionnelle, organiquement imbriquée dans toutes les autres idéologies et institutions de cette société. Ainsi, le racisme en Amérique fait autant partie du ” American way of life ” que le protestantisme ou les Big Business. Je fais référence à notre structure sociale, à notre système économique et politique et à la manière dont le pouvoir, les emplois et les opportunités de vie sont distribués en Amérique sur la base de caractéristiques physiques. Lorsque le racisme disparaîtra, la nature du système politico-économique américain – la façon dont le pouvoir, les emplois et les opportunités de vie sont distribués – aura changé.

Calvin C. Hernton, Sex And Racism in America (1965), Anchor Books , 1992, NYC, p. 178

Calvin C. HerntonSex And Racism in America (1965), Anchor Books , 1992, NYC, p. 178

R.

Racism of sex distort human conscience by Calvin C. Hernton

Most of all, I do not see how men, wonen, and children can grow and live healthy, productive lives in a world where even if all other forms of racism and Jim Crow have disappeared the racism of sex still prevails to plague, to distort, and to deprave the human conscience of blacks and whites alike.

Calvin C. Hernton, Sex And Racism in America (1965), Anchor Books , 1992, NYC, p. 183

Surtout, je ne vois pas comment les hommes, les femmes et les enfants peuvent grandir et mener une vie saine et productive dans un monde où, même si toutes les autres formes de racisme et de Jim Crow ont disparu, le racisme sexuel continue de sévir, de distordre et de dépraver la conscience humaine des Noirs comme des Blancs.

Calvin C. Hernton, Sex And Racism in America (1965), Anchor Books , 1992, NYC, p. 183

Calvin C. HerntonSex And Racism in America (1965), Anchor Books , 1992, NYC, p. 183

W.

What explains everything to me also debilitates me by Albert Camus

I understand then why the doctrines that explain everything to me also debilitate me at the same time. They relieve me of the weight of my own life, and yet I must carry it alone.

Albert CamusThe Myth Of Sisyphus And Other Essays, Trans. J. O’Brien, 1955, p. 37

Je comprends alors pourquoi les doctrines qui m’expliquent tout m’affaiblissent en même temps. Elles me déchargent du poids de ma propre vie et il faut bien pourtant que je le porte seul. 

Albert Camus, Le mythe de Sisyphe (1942), Gallimard Folio, Paris, 2021, p. 80

Albert CamusLe mythe de Sisyphe (1942), Gallimard Folio, Paris, 2021, p. 80

O.

One must imagine Sisyphus happy by Albert Camus

This universe henceforth without a master seems to him neither sterile nor futile. Each atom of that stone, each mineral flake of that night filled mountain, in itself forms a world. The struggle itself toward the heights is enough to fill a man’s heart. One must imagine Sisyphus happy.

Albert CamusThe Myth Of Sisyphus And Other Essays, Trans. J. O’Brien, 1955, p. 78

Cet univers désormais sans maître ne lui paraît ni stérile ni futile. Chacun des grains de cette pierre, chaque éclat minéral de cette montagne pleine de nuit, à lui seul forme un monde. La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur d’homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux. 

Albert Camus, Le mythe de Sisyphe (1942), Gallimard Folio, Paris, 2021, p. 168

Albert CamusLe mythe de Sisyphe (1942), Gallimard Folio, Paris, 2021, p. 168

H.

Hope cannot be eluded forever by Albert Camus

At this point I perceive, therefore, that hope cannot be eluded forever and that it can be set even those who wanted to be free of it.

Albert CamusThe Myth Of Sisyphus And Other Essays, Trans. J. O’Brien, 1955, p. 72

J’aperçois donc ici que l’espoir ne peut être éludé pour toujours et qu’il peut assaillir ceux-là mêmes qui s’en voulaient délivrés.

Albert Camus, Le mythe de Sisyphe (1942), Gallimard Folio, Paris, 2021, p. 152

Albert CamusLe mythe de Sisyphe (1942), Gallimard Folio, Paris, 2021, p. 152

T.

This world in itself is not reasonable by Albert Camus

This world in itself is not reasonable, that is all that can be said. But what is absurd is the confrontation of this irrational and the wild longing for clarity whose call echoes in the human heart. The absurd depends as much on man as on the world. For the moment it is all that links them together.

Albert CamusThe Myth Of Sisyphus And Other Essays, Trans. J. O’Brien, 1955, p. 15

Ce monde en lui-même n’est pas raisonnable, c’est tout ce qu’on en peut dire. Mais ce qui est absurde, c’est la confrontation de cet irrationnel et de ce désir éperdu de clarté dont l’appel résonne au plus profond de l’homme. L’absurde dépend autant de l’homme que du monde. Il est pour le moment leur seul lien. 

Albert Camus, Le mythe de Sisyphe (1942), Gallimard Folio, Paris, 2021, p. 39

Albert CamusLe mythe de Sisyphe (1942), Gallimard Folio, Paris, 2021, p.39

Œ.

Œdipus : “All is well” by Albert Camus

But crushing truths perish from being acknowledged. Thus, Œdipus at the outset obeys fate without knowing it. But from the moment he knows, his tragedy begins. Yet at the same moment, blind and desperate, he realizes that the only bond linking him to the world is the cool hand of a girl. Then a tremendous remark rings out: “Despite so many ordeals, my advanced age and the nobility of my soul make me conclude that all is well.” Sophocles’ Œdipus, like Dostoevsky’s Kirilov, thus gives the recipe for the absurd victory. Ancient wisdom confirms modern heroism.

Albert Camus, The Myth Of Sisyphus And Other Essays, Trans. J. O’Brien, 1955, p. 77

Mais les vérités écrasantes périssent d’être reconnues. Ainsi, Œdipe obéit d’abord au destin sans le savoir. A partir du moment où il sait, sa tragédie commence. Mais dans le même instant, aveugle et désespéré, il reconnaît que le seul lien qui le rattache au monde, c’est la main fraîche d’une jeune fille. Une parole démesurée retentit alors: « Malgré tant d’épreuves, mon âge avancé et la grandeur de mon âme me font juger que tout est bien. » L’Œdipe de Sophocle, comme le Kirilov de Dostoïevski, donne ainsi la formule de la victoire absurde. La sagesse antique rejoint l’héroïsme moderne. 

Albert Camus, Le mythe de Sisyphe (1942), Gallimard Folio, Paris, 2021, pp. 166 – 167

Albert Camus, Le mythe de Sisyphe (1942), Gallimard Folio, Paris, 2021, pp. 166 – 167

R.

Race : inextricably connected with sex by Calvin C. Hernton

What does all of this mean? It means that the race problem is inextricably connected with sex. More and more in America, everything we make, sell, handle, wear, and do takes on a sexual meaning.

Calvin C. Hernton, Sex And Racism in America (1965), Anchor Books , 1992, NYC, p.3

Qu’est ce que tout cela signifie ? Cela signifie que le problème de race est inextricablement relié au sex. De plus en plus en Amérique, tout ce que nous faisons, vendons, gérons, et faisons transporte une signification sexuelle.

Calvin C. Hernton, Sex And Racism in America (1965), Anchor Books , 1992, NYC, p.3

Calvin C. Hernton, Sex And Racism in America (1965), Anchor Books , 1992, NYC, p.3

D.

Distinction between pleasure and jouissance by Roudinesco & Plon

Lacan then makes an essential distinction between pleasure and jouissance, with jouissance residing in the perpetual attempt to exceed the limits of the pleasure principle. This movement, tied to the search for the lost object, that which is missing in the place of the Other, is a cause of suffering; yet, this suffering never completely eradicates the pursuit of jouissance.

Lacan fait alors une distinction essentielle entre plaisir et jouissance, la jouissance résidant dans la tentative permanente d’outrepasser les limites du principe de plaisir. Ce mouvement, lié à la recherche de la chose perdue, manquante à l’endroit de l’Autre, est cause de souffrance ; mais celle-ci n’éradique jamais complètement la quête de la jouissance.

Elisabeth RoudinescoMichel Plon, “Jouissance” in Dictionnaire de la psychanalyseFayard, Paris, 2017, p. 556

N.

No jouissance for man but phallic by Roudinesco & Plon

Therefore, there is no jouissance for man but phallic jouissance, that is to say, limited, subject to the threat of castration; phallic jouissance that constitutes the sexual identity of man. There is no equivalent for women of the primal father, no “hommoinzin” escaping castration: the jouissance of the Other, hoped jouissance, awaited, and out of reach of this primal father, might also be impossible for the woman, but it is not struck with the prohibition of castration. Then, feminine jouissance is other and above all limitless. It is a “supplementary jouissance” (a supplement), pronounced as such in the flamboyant seminar “Encore.”

Il n’est donc de jouissance pour l’homme qu’une jouissance phallique, c’est-à-dire limitée, soumise à la menace de la castration, jouissance phallique qui constitue l’identité sexuelle de l’homme. Il n’y a pas pour les femmes d’équivalent du père originaire, pas d'”hommoinzin” échappant à la castration : la jouissance de l’Autre, jouissance espérée, attendue et hors de portée de ce père originaire, peut être également impossible pour la femme, n’est cependant pas frappée de l’interdit de la castration. La jouissance féminine est donc autre et surtout sans limites. Elle est alors une “jouissance supplémentaire” (un supplément) énoncée comme telle dans le flamboyant séminaire Encore

Elisabeth Roudinesco, Michel Plon, “Jouissance” in Dictionnaire de la psychanalyse, Fayard, Paris, 2017, p. 557

P.

Paranoiacs do not project it into the sky by Sigmund Freud

We begin to see that we describe the behaviour of both jealous and persecuted paranoiacs very inadequately by saying that they project outwards on to others what they do not wish to recognize in themselves. Certainly they do this; but they do not project it into the sky, so to speak, where there is nothing of the sort already. They let themselves be guided by their knowledge of the unconscious, and displace to the unconscious minds of others the attention which they have withdrawn from their own.

Sigmund Freud, “Certain neurotic mechanisms in jealousy, paranoia and homosexuality” in International Review of Psycho-Analysis, 4, 1–10, London, 1923

Or nous avons le sentiment de décrire de manière très insuffisante le comportement du paranoïaque, le jaloux comme le persécuté, en disant qu’ils projettent vers l’extérieur, sur d’autres, ce qu’ils ne veulent pas percevoir dans leur propre intérieur. Certes, c’est ce qu’ils font, mais ils ne projettent pas pour ainsi dire dans le vague, pas là où ne se trouve rien d’analogue, au contraire ils se laissent guider par leur connaissance de l’inconscient et déplacent sur l’inconscient des autres l’attention qu’ils soustraient à leur propre inconscient.

Sigmund Freud, “De quelques mécanismes névrotiques dans la jalousie, la paranoïa et l’homosexualité “(1922) In Travaux et interventions / Jacques Lacan, trad. Jacques Lacan, Association Régionale de l’éducation permanente, Alençon, 1977

Sigmund Freud, “De quelques mécanismes névrotiques dans la jalousie, la paranoïa et l’homosexualité “(1922) In Jacques Lacan, Premiers écrits, Editions du Seuil, 2023, Paris, p. 134

F.

Freud had uncovered somthing new by F. Coblence & J.-L. Donnet

According to Jones, Freud had told him that through the case of an American patient referred to him, he felt he had uncovered something new about paranoia, that he had penetrated it down to the bedrock; and it brings to mind what he had written to Ferenczi in 1910: “I have succeeded where the paranoid fails.”

Selon Jones, Freud lui avait annoncé qu’à travers le cas d’un patient américain qu’il lui avait adressé, il avait l’impression d’avoir découvert du nouveau sur la paranoïa, qu’il l’avait pénétrée jusqu’au roc ; et l’on songe à ce qu’il avait écrit à Ferenczi en 1910 : « J’ai réussi là où le paranoïaque échoue. »

Françoise COBLENCE, Jean-Luc DONNET, « Argument : « Sur quelques mécanismes névrotiques dans la jalousie, la paranoïa et l’homosexualité » », Revue française de psychanalyse, 2011/3 (Vol. 75), p. 645-648.
DOI : 10.3917/rfp.753.0645.
URL : https://www.cairn.info/revue-francaise-de-psychanalyse-2011-3-page-645.htm

T.

There’s no such thing as Woman by Jacques Lacan

One of the following two things is true: either what I write has no meaning at all – which is, by the way, the conclusion of the short book [discussed earlier], and that is why I beg you to have a look at it – or when I write ∀x.φx, a never-before-seen function in which the negation is placed on the quantifier, which should be read “notwhole,” it means that when any speaking being whatsoever situates itself under the banner “women,” it is on the basis of the following – that it grounds itself as being not-whole in situating itself in the phallic function. That is what defines what? Woman precisely, except that Woman can only be written with a bar through it. There’s no such thing as Woman, Woman with a capital W indicating the universal. There’s no such thing as Woman because, in her essence – I’ve already risked using that term, so why should I think twice about using it again? – she is not-whole. I see my students far less attached to reading my work than the slightest underling when he is motivated by the desire to obtain a Master’s; not one of them has avoided producing an utter and complete muddle regarding the lack of a signifier, the signifier of the lack of a signifier, and other gibberish regarding the phallus, whereas with “woman” (la) I am designating for you the signifier that is, nevertheless, common and even indispensable. The proof is that, earlier, I already spoke of man and “woman” (la femme). That “woman” (la) is a signifier. With it I symbolize the signifier whose place it is indispensable to mark – that place cannot be left empty. “Woman” (la) is a signifier, the crucial property (propre) of which is that it is the only one that cannot signify anything, and this is simply because it grounds woman’s status in the fact that she is not-whole. That means we can’t talk about Woman (La femme). A woman can but be excluded by the nature of things, which is the nature of words, and it must be said that if there is something that women themselves complain about enough for the time being, that’s it. It’s just that they don’t know what they’re saying – that’s the whole difference between them and me. The fact remains that if she is excluded by the nature of things, it is precisely in the following respect: being not-whole, she has a supplementary jouissance compared to what the phallic function designates by way of jou issance. You will notice that I said “supplementary.” If I had said “complemen tary” what a mess we’d be in! We would fall back into the whole.

Jacques Lacan, Encore The Seminar Book XX, Trad. Bruce Fink, Norton & Company, New York, 1998, pp. 72 – 73

Alors, de deux choses l’une ou ce que j’écris n’a aucun sens, c’est d’ailleurs la conclusion du petit livre, et c’est pour ça que je vous prie de vous y reporter quand j’écris ∀x.φx, cette fonction inédite où la négation porte sur le quanteur à lire pas-tout, ça veut dire que lorsqu’un être parlant quelconque se range sous la bannière des femmes c’est à partir de ceci qu’il se fonde de n’être pas-tout, à se placer dans la fonction phallique. C’est ça qui définit la… la quoi? la femme justement, à ceci près que La femme, ça ne peut s’écrire qu’à barrer La. Il n’y a pas La femme, article défini pour désigner l’universel. Il n’y a pas La femme puisque j’ai déjà risqué le terme, et – pourquoi y regarderais-je à deux fois? – de son essence, elle n’est pas toute. Je vois mes élèves beaucoup moins attachés à ma lecture que le moindre sous-fifre quand il est animé par le désir d’avoir une maitrise, et il n’y a eu pas un seul qui n’ait fait je ne sais quel cafouillage sur le manque de signifiant, le signifiant du manque de signifiant, et autres bafouillages à propos du phallus, alors que je vous désigne dans ce la le signifiant, malgré tout courant et même indispensable. La preuve c’est que, déjà tout à l’heure, j’ai parlé de l’homme et de la femme. C’est un signifiant, ce la. C’est par ce la que je symbolise le signifiant dont il est indispensable de marquer la place, qui ne peut pas être laissée vide. Ce la est un signifiant dont le propre est qu’il est le seul qui ne peut rien signifier, et seulement de fonder le statut de la femme dans ceci qu’elle n’est pas toute. Ce qui ne nous permet pas de parler de La femme. Il n’y a de femme qu’exclue par la nature des choses qui est la nature des mots, et il faut bien dire que s’il y a quelque chose dont elles-mêmes se plaignent assez pour l’instant, c’est bien de ça – simplement, elles ne savent pas ce qu’elles disent, c’est toute la différence entre elles et moi. Il n’en reste pas moins que si elle est exclue par la nature des choses, c’est justement de ceci que, d’être pas toute, elle a, par rapport à ce que désigne de jouissance la fonction phallique, une jouissance supplémentaire. Vous remarquerez que j’ai dit supplémentaire. Si j’avais dit complémentaire. où en serions-nous ! On retomberait dans le tout.

Jacques Lacan, “Dieu et la jouissance de La Femme – 20 février 1973” in Encore – Le Séminaire livre XX (1972 – 1973), Editions du Seuil, 1975, p. 68

Jacques Lacan, “Dieu et la jouissance de La Femme” in Encore – Le Séminaire livre XX (1972 – 1973), Editions du Seuil, 1975, p. 68

I.

Initial difference neurosis and psychosis by Sigmund Freud

Accordingly, the initial difference is expressed thus in the final outcome: in neurosis a piece of reality is avoided by a sort of flight, whereas in psychosis it is remodelled. Or we might say: in psychosis, the initial flight is succeeded by an active phase of remodelling; in neurosis, the initial obedience is succeeded by a deferred attempt at flight. Or again, expressed in yet another way: neurosis does not disavow the reality, it only ignores it; psychosis disavows it and tries to replace it.

Sigmund Freud, “The Loss of Reality in Neurosis and Psychosis” (1924) in The Standard Edition of the Complete Psychological Works of Sigmund Freud, Volume XIX (1923-1925), pp. 181 – 188

La différence initiale s’exprime alors dans le résultat final, de telle façon que dans la névrose un morceau de la réalité est évité sur le mode de la fuite et dans la psychose en revanche il est remanié dans sa construction. Ou bien : dans la psychose, à la fuite initiale succède une phase active de reconstruction, dans la névrose à l’obéissance initiale une tentative de fuite après coup. Ou bien, pour l’exprimer encore autrement : la névrose ne dénie pas la réalité, elle veut seulement ne rien savoir d’elle; la psychose la dénie et cherche à la remplacer.

Sigmund Freud, “La perte de réalité dans la névrose et la psychose” in Œuvres complètes volume XVII 1923-1925, PUF, Paris, p. 39

Sigmund Freud, “La perte de réalité dans la névrose et la psychose” in Œuvres complètes volume XVII 1923-1925, PUF, Paris, p. 39

P.

Possibility of our ultimate annihilation by Günther Anders

The possibility of our ultimate annihilation is, even if it ultimately never occurs, the ultimate annihilation of our possibilities.

Günther AndersDie Atomare Drohung: Radikale Überlegungen (1981) [The Atomic Threat: Radical Considerations]. Munich: C.H. Beck.

La possibilité de notre anéantissement définitif est, même si celui-ci n’a finalement jamais lieu, l’anéantissement définitif de nos possibilités.

Günther Anders, La Menace nucléaire – Considérations radicales sur l’âge atomique (1981), Editions du Rocher, 1986, Paris, p. 1

Günther AndersLa Menace nucléaire – Considérations radicales sur l’âge atomique (1981), Trad. C. David, Editions du Rocher, 1986, Paris, p. 30

T.

The prayer of the dead who will die tomorrow by Günther Anders

As nothing could have inspired them with a deeper dread than the desperate vision of a death without Kaddish, and since only such a death constituted a true death for them, Noé paused to wait until this dread had thoroughly seized all minds. The lips of one of the five men standing before him quivered, but no words came out of his mouth. Noé was pleased with the effect of his words and then knew that his hour had come.
‘If I am here before you,’ he continued, ‘it is because an order has been given to me. The order to warn you that the worst is about to happen. Reverse time,’ the voice told me, ‘anticipate today the pain of tomorrow, shed your tears in advance! The prayer of the dead that, as a child, you learned to recite one day at your father’s grave, say it now for the sons who will die tomorrow and the grandsons who will never be born! For, the day after tomorrow, it will be too late.’ – That’s what I was ordered.

Günther Anders, Die Atomare Drohung: Radikale Überlegungen (1981) [The Atomic Threat: Radical Considerations]. Munich: C.H. Beck.

Puisque rien n’aurait pu leur inspirer un plus profond effroi que la vision désespérée d’une mort sans kaddish et puisque seule une telle mort constituait pour eux une véritable mort, Noé fit une pause pour attendre que cet effroi se soit bien emparé de tous les esprits. Les lèvres de l’un des cinq hommes qui se tenaient devant lui tremblaient, mais aucun mot ne sortait de sa bouche. Noé fut content de l’effet produit par ses paroles et sut alors que son heure était arrivée.
«Si je suis là devant vous, poursuivit-il, c’est parce qu’un ordre m’a été donné. L’ordre de vous prévenir que le pire allait avoir lieu. Renverse le temps, m’a dit la voix, anticipe aujourd’hui la douleur de demain, verse d’avance tes larmes! La prière des morts qu’en- fant, tu as apprise pour la dire un jour sur la tombe de ton père, dis-la maintenant pour les fils qui vont mourir demain et les petits-fils qui ne naîtront jamais! Car, après-demain, il sera trop tard. – Voilà ce qu’on m’a ordonné.

Günther Anders, La Menace nucléaire – Considérations radicales sur l’âge atomique (1981), Editions du Rocher, 1986, Paris, p. 30

Günther Anders, La Menace nucléaire – Considérations radicales sur l’âge atomique (1981), Editions du Rocher, 1986, Paris, p. 30

C.

Criminal tendencies are at work in all children by Melanie Klein

Psychoanalysis has shown that the Oedipus complex plays the most decisive role in the general development of the personality, both in people who later become normal and in those affected by neurosis. Psychoanalytic research has consistently shown that the entire formation of character is also linked to Oedipal development, and that all the nuances of character problems, from the slightly neurotic to the criminal, depend on it. The study of criminality is still in its infancy, but the developments it offers are full of promise. The purpose of this article is to show that criminal tendencies are at work in all children and to put forward some hypotheses on the following problem: what are the factors by virtue of which these tendencies do or do not impose themselves on the personality?

I must now return to the point from which I started. When the Oedipus complex makes its appearance, which, according to the results of my analyses, occurs at the end of the first or beginning of the second year, the primitive stages I spoke of – the sadistic-oral stage and the sadistic-anal stage – are fully at work. They are intertwined with the Oedipal tendencies and therefore target the objects around which the Oedipus complex develops, i.e. the parents. The little boy, who hates his father with whom he competes for his mother‘s love, devotes his hatred, aggression and fantasies born of sadistic-oral and sadistic-anal fixations to him. Fantasies in which the child breaks into the bedroom and kills the father are not lacking in any analysis of a little boy, even a normal one.

Melanie Klein, “Criminal tendancies in normal children” in Love, Guilt and Reparation and Other Works 1921-1945, Hogarth Press, London, 1975

La psychanalyse a montré que le complexe d’Œdipe joue le plus décisif des rôles dans le développement général de la personnalité, chez les gens qui plus tard seront normaux comme chez ceux qu’atteindra la névrose. Les recherches psychanalytiques n’ont cessé de démontrer que la formation tout entière du caractère relève elle aussi du développement œdipien, que toutes les nuances des problèmes caractériels, depuis la déformation légèrement névrotique jusqu’à la déformation criminelle, en dépendent. L’étude de la criminalité en est encore à ses premiers pas, mais les développements qu’elle nous laisse espérer sont pleins de promesses. Le propos de cet article est de montrer que des tendances criminelles sont à l’œuvre chez tous les enfants et d’énoncer quelques hypothèses sur le problème suivant : quels sont les facteurs en vertu desquels ces tendances s’imposent ou ne s’imposent pas dans la personnalité.
Il me faut retourner maintenant au point d’où je suis partie. Lorsque le complexe d’Œdipe fait son apparition, ce qui, selon les résultats de mes analyses, survient à la fin de la première ou au début de la seconde année, les stades primitifs dont j’ai parlé – le stade sadique-oral et le stade sadique-anal sont pleinement à l’œuvre. Ils s’intriquent aux tendances oedipiennes et visent donc les objets autour desquels le complexe d’Oedipe se développe, c’est-à-dire les parents. Le petit garçon, qui déteste son père avec lequel il rivalise pour l’amour de sa mère, lui voue la haine, l’agressivité et les fantasmes nés des fixations sadique-orales et sadique- anales. Les fantasmes où l’enfant s’introduit dans la chambre à coucher et tue le père ne font défaut dans aucune analyse de petit garçon, même si celui-ci est normal.

Melanie Klein, “Les tendances criminelles chez les enfants normaux” in Essais de psychanalyse (1921-1945), Trad. Margueritte Derrida, Editions Payot, Paris, 1968 , p. 212

Melanie Klein, Essais de psychanalyse (1921-1945), Trad. Margueritte Derrida, Editions Payot, 1968, Paris, p. 212

D.

Distinction envy jealousy greed by Melanie Klein

A distinction should be drawn between envy, jealousy, and greed. Envy is the angry feeling that another person possesses and enjoys something desirable—the envious impulse being to take it away or to spoil it. Moreover, envy implies the subject’s relation to one person only and goes back to the earliest exclusive relation with the mother. Jealousy is based on envy, but involves a relation to at least two people; it is mainly concerned with love that the subject feels is his due and has been taken away, or is in danger of being taken away, from him by his rival. In the everyday conception of jealousy, a man or a woman feels deprived of the loved person by somebody else.

Greed is an impetuous and insatiable craving, exceeding what the subject needs and what the object is able and willing to give. At the unconscious level, greed aims primarily at completely scooping out, sucking dry, and devouring the breast: that is to say, its aim is destructive introjection; whereas envy not only seeks to rob in this way, but also to put badness, primarily bad excrements and bad parts of the self, into the mother, and first of all into her breast, in order to spoil and destroy her. In the deepest sense this means destroying her creativeness. This process, which derives from urethral- and anal-sadistic impulses, I have elsewhere defined as a destructive aspect of projective identification starting from the beginning of life.

One essential difference between greed and envy, although no rigid dividing line can be drawn since they are so closely associated, would accordingly be that greed is mainly bound up with introjection and envy with projection.

According to the Shorter Oxford Dictionary, jealousy means that somebody else has taken, or is given, ‘the good’ which by right belongs to the individual. In this context I would interpret ‘the good’ basically as the good breast, the mother, a loved person, whom somebody else has taken away.

According to Crabb’s English Synonyms, ‘… Jealousy fears to lose what it has; envy is pained at seeing another have that which it wants for itself.… The envious man sickens at the sight of enjoyment. He is easy only in the misery of others. All endeavours therefore to satisfy an envious man are fruitless.’ Jealousy, according to Crabb, is ‘a noble or an ignoble passion according to the object. In the former case it is emulation sharpened by fear. In the latter case it is greediness stimulated by fear. Envy is always a base passion, drawing the worst passions in its train.’ The general attitude to jealousy differs from that to envy.

In fact, in some countries (particularly in France) murder prompted by jealousy carries a less severe sentence. The reason for this distinction is to be found in a universal feeling that the murder of a rival may imply love for the unfaithful person. This means, in the terms discussed above, that love for ‘the good’ exists and that the loved object is not damaged and spoilt as it would be by envy.

Melanie Klein, Envy and Gratitude and Other Works 1946–1963, M. Masud R. Khan, 1975, London, p. 79

Il convient d’établir une distinction entre l’envie, la jalousie et l’avidité. L’envie est le sentiment de colère qu’éprouve un sujet quand il craint qu’un autre ne quelque chose de désirable et n’en jouisse; l’impulsion envieuse tend à s’emparer de cet objet ou à l’endommager. La jalousie se fonde sur l’envie mais, alors que l’envie implique une relation du sujet à une seule personne et remonte à la toute première relation exclusive avec la mère, la jalousie comporte une relation avec deux personnes au moins et concerne principalement l’amour que le sujet sent comme lui étant dû, amour qui lui a été ravi pourrait l’être par un rival. Selon l’idée commune, la jalousie est le sentiment qu’éprouve l’homme ou la femme d’être privé de la personne aimée par quelqu’un d’autre.
L’avidité est la marque d’un désir impérieux et insatiable, qui va à la fois au-delà de ce dont le sujet a besoin et au-delà de ce que l’objet peut ou veut lui accorder. Au niveau de l’inconscient, l’avidité cherche essentiellement à vider, à épuiser ou à dévorer le sein maternel; c’est dire que son but est une introjection destructive. L’envie, elle, ne vise pas seulement à la déprédation du sein maternel, elle tend en outre à introduire dans la mère, avant tout dans son sein, tout ce qui est mauvais, et d’abord les mauvais excréments et les mauvaises parties du soi, afin de la détériorer et de la détruire. Ce qui, au sens le plus profond, signifie détruire sa créativité.
Un tel processus, qui dérive de pulsions sadiques- urétrales et sadiques-anales, je l’ai défini ailleurs comme étant un aspect destructif de l’identification projective qui se manifeste dès le commencement de la vie. Du fait. de leurs rapports étroits, l’on ne peut séparer rigoureusement l’avidité de l’envie, mais une différence essentielle s’impose pour autant que l’avidité se trouve surtout liée à l’introjection, l’envie à la projection. Selon le Shorter Oxford Dictionary, la jalousie est éveillée chez un sujet quand quelqu’un d’autre lui a ôté ou a reçu le bien lui appartenant de droit. Dans ce contexte, je définirais le « bien » comme étant le bon sein, la mère, l’être aimé, dont quelqu’un d’autre s’est emparé. Selon les English Synonyms de Crabb : ” la jalousie est la crainte de perdre ce qu’on possède; l’envie est la souffrance de voir quelqu’un d’autre posséder ce qu’on désire pour soi- même. […] Le plaisir d’autrui tourmente l’envieux qui ne se complait que dans la détresse des autres. Ainsi tout effort pour satisfaire un être envieux demeure stérile.» Toujours selon Crabb, la jalousie est une passion noble M ou ignoble selon l’objet. Dans le premier cas, elle se tra- duit par une émulation aiguisée par la crainte, dans le second, par une avidité stimulée par la crainte. L’envie est toujours une passion vile, entraînant les pires passions dans son sillage.
L’attitude générale envers la jalousie diffère de celle que l’on témoigne à l’égard de l’envie. Dans certains pays (notamment en France), un crime passionnel dont le mobile est la jalousie bénéficie de circonstances atténuantes, cela en raison du sentiment, universellement répandu, selon lequel le meurtre d’un rival implique l’amour envers l’infidèle. Ce qui signifie, dans notre terminologie, que l’amour pour le bien existe et que l’objet aimé n’est pas endommagé ou détérioré comme il le serait par l’envie.

Melanie Klein, Envie et gratitude (1957), Gallimard, Paris, 1968, p. 17 – 19

Melanie Klein, Envie et Gratitude (1957), Gallimard, Paris, 1968, p. 17 – 19

M.

Man is able to do what he is unable to imagine by René Char

Man is able to do what he is unable to imagine. His head trails a wake through the galaxy of the absurd.

p. 26

L’homme est capable de faire ce qu’il est incapable d’imaginer. Sa tête sillonne la galaxie de l’absurde.

René Char, Feuillets d’Hypnos (1943-1944)

René Char, Leaves of Hypnos (extracts) and Lettera Amorosa, Tr. J. Mathews, Botteghe Oscure XIV, Roma, 1954, p. 26 & p. 53

W.

We believe that what we read is true by Paul Veyne

History is also a novel containing deeds and proper names, and we have seen that, while reading, we believe that what we read is true. Only afterward do we call it fiction, and even then we must belong to a society in which the idea of fiction obtains.

Paul Veyne, Did the Greeks Believe in Their Myths? :
An Essay on the Constitutive Imagination,
Chicago, University of Chicago Press, 1988, p. 102

L’histoire est aussi un roman, avec des faits et des noms propres, et nous avons vu qu’on croit vrai tout ce qu’on lit pendant qu’on le lit ; on ne le répute fiction qu’après, et encore faut-il qu’on appartienne à une société dans laquelle l’idée de fiction existe.

Paul VeyneLes Grecs ont-ils cru à leurs mythes ? 1983, Editions du Seuil, Points Essai, p. 113

Paul VeyneLes Grecs ont-ils cru à leurs mythes ?, 1983, Editions du Seuil, Points Essai, p. 113

C.

Creating an imaginary truth for himself by Paul Veyne

Truth is Balkanized by forces and blocked by forces. Worship and love of the sovereign reflect the efforts of the subjugated to gain the upper hand: “Since I love him, therefore he must wish me no harm.” (A German friend told me that his father had voted for Hitler to reassure himself; since I vote for him, Jew that I am, it is because in his heart he believes as I do.) And, if the emperor demanded or, more often, allowed himself to be worshiped, this served as “threatening information.” Since he can be worshiped, let no one think to contest his authority. The Egyptian theologians who elaborated a whole ideology of the king-god must indeed have had some interest in doing so, even if it were only to provide themselves with an uplifting novel. Under France’s Old Regime, people believed and wanted to believe in the king’s kindness and that the entire problem was the fault of his ministers. If this were not the case, all was lost, since one could not hope to expel the king the way one could remove a mere minister. As we see, causality is always at work, even among those who supposedly undergo its effects. The master does not inculcate an ideology in the slave; he has only to show that he is more powerful. The slave will do what he can to react, even creating an imaginary truth for himself. The slave undertakes what Léon Festinger -a psychologist with an innate shrewdness, whose insights are instructive – calls a reduction of dissonance.

Paul Veyne, Did the Greeks Believe in Their Myths? :
An Essay on the Constitutive Imagination,
Chicago, University of Chicago Press, 1988, pp. 90 – 91

La Vérité est balkanisée par des forces et bloquée par des forces. L’adoration et l‘amour du souverain sont des efforts impuissants pour reprendre le dessus sur la soumission: « puisque je l’aime, il ne me veut donc pas de mal ». (Un ami allemand m’a raconté que son père avait voté pour Hitler pour se rassurer : puisque je vote pour lui, tout juif que je suis, c’est donc qu’au fond il pense com- me moi). Et, si l’empereur se faisait ou, plus souvent, se laissait adorer, cela servait d’« information de menace» : puisqu’il est adorable, que nul ne s’avise de contester son autorité. Les théologiens égyptiens qui ont élaboré toute une idéologie du roi-dieu devaient bien avoir quelque intérêt à le faire, ne serait-ce que celui de se donner un roman exaltant. Sous notre Ancien Régime, on croyait, on voulait croire à la bonté du roi, tout le mal ne venant que de ses ministres; sinon, ce serait à désespérer de tout, puis- qu’on ne pouvait espérer chasser le roi comme on chasse un simple ministre. Comme on voit, la causalité est toujours active, même chez les prétendus causés: le maître n’inculque pas une idéologie à l’esclave, il lui suffit de se montrer plus puissant que lui; l’esclave fera ce qu’il pourra pour réagir, serait-ce en se forgeant une vérité imaginaire. L’esclave procède à ce que Leon Festinger, psychologue instructif, car né malin, appelle une réduction de la dissonance.

Paul VeyneLes Grecs ont-ils cru à leurs mythes ? 1983, Editions du Seuil, Points Essai, p. 101

Paul VeyneLes Grecs ont-ils cru à leurs mythes ?, 1983, Editions du Seuil, Points Essai, p. 101

T.

The fear of the ghosts by Paul Veyne

In a passage in Das Heilige, Rudolf Otto analyzes the fear of ghosts. To be exact, if we thought about ghosts with the same mind that makes us think about physical facts, we would not be afraid of them, or at least not in the same way. We would be afraid as we would be of a revolver or of a vicious dog, while the fear of ghosts is the fear of the intrusion of a different world. For my part, I hold ghosts to be simple fictions but perceive their truth nonetheless. I am almost neurotically afraid of them, and the months I spent sorting through the papers of a dead friend were an extended nightmare. At the very moment I type these pages I feel the hairs stand up on the back of my neck. Nothing would reassure me more than to learn that ghosts “really” exist. Then they would be a phenomenon like any other, which could be studied with the right instruments, a camera or a Geiger counter. This is why science fiction, far from frightening me, delightfully reassures me.

Paul Veyne, Did the Greeks Believe in Their Myths? :
An Essay on the Constitutive Imagination,
Chicago, University of Chicago Press, 1988, pp. 88

Dans Das Heilige, Rudolf Otto analyse au passage la peur des fantômes. Pré- cisément: si nous pensions les fantômes avec le même esprit qui nous fait penser les faits physiques, nous n’en aurions pas peur, ou du moins pas de la même manière; nous en aurions peur comme d’un revolver ou d’un chien méchant, alors que la peur des fantomes est peur devant l’intrusion d’un monde autre. Pour ma part, je répute les fantômes pour de simples fictions, mais je n’en éprouve pas moins leur vérité : j’ai d’eux une peur presque névrotique et les mois que j’ai passés à trier les papiers d’un ami mort furent un long cauchemar; au moment même où je dactylographie les présentes phrases, une aigrette de terreur commence à s’élever sur ma nuque. Rien ne me rassurerait davantage que d’apprendre que les fantômes existent « réellement »: ils seraient alors un phénoméne comme les autres, qu’on étudierait avec les instruments adéquats, caméra ou compteur Geiger. C’est pourquoi la science-fiction, loin de me faire peur, me rassure délicieusement.

Paul VeyneLes Grecs ont-ils cru à leurs mythes ? 1983, Editions du Seuil, Points Essai, p. 98

Paul VeyneLes Grecs ont-ils cru à leurs mythes ?, 1983, Editions du Seuil, Points Essai, p. 98

C.

Contradictory truths don’t reside in the same mind by Paul Veyne

Since interests and truths do not arise from “reality” or a powerful infrastructure but are jointly limited by the programs of chance, it would be giving them too much credit to think that the eventual contradiction between them is disturbing. Contradictory truths do not reside in the same mind – only different programs, each of which encloses different truths and interests, even if these truths have the same name. I know a doctor who is a passionate homeopath but who nonetheless has the wisdom to prescribe antibiotics in serious cases; he reserves homeopathy for mild or hopeless situations. His good faith is whole, I attest to it. On the one hand, he wants to take pleasure in unorthodox medicines, and, on the other, he is of the opinion that the interest of both doctor and patient is that the patient recovers. These two programs neither contradict each other nor have anything in common, and the apparent contradiction emerges only by taking the corresponding truths literally, which demand that one be a homeopath or not. But truths are not sprinkled like stars on the celestial sphere; they are the point of light that appears at the end of the telescope of a program, and so two different truths obviously correspond to two different programs, even if they go by the same name.

Paul Veyne, Did the Greeks Believe in Their Myths? : An Essay on the Constitutive Imagination,
Chicago, University of Chicago Press, 1988, pp. 86

Puisque intérêts et vérités ne proviennent pas de « la» réalité ni d’une puissante infrastructure, mais sont bornés conjointement par des programmes de hasard, ce serait leur faire trop d’honneur que de penser que leur éventuelle contradiction est troublante: il n’y a pas de vérités contradictoires en un même cerveau, mais seulement des programmes différents, qui enserrent chacun des vérités et des intérêts différents, même si ces vérités portent le même nom. Je connais un médecin qui, homéopathe avec passion, a pourtant la sagesse de prescrire des antibiotiques lorsque la maladie est grave : il réserve l’homéopathie aux cas anodins ou désespérés; sa bonne foi est entière, je le garantis: il a envie de s’enchanter de médecines non conformistes, d’une part, et, de l’au- tre, il estime que l’intérêt du médecin et celui du malade sont que le malade guérisse; ces deux programmes n’ont rien de contradictoire ni même de commun et la contradiction apparente n’est que dans la lettre des vérités correspondantes, qui veut qu’on soit homéopathe ou qu’on ne le soit pas. Mais les vérités ne sont pas inscrites comme des étoiles sur la sphère céleste: elles sont le petit rond de lumière qui apparaît au bout de la lunette d’un program- me, si bien qu’à deux programmes différents correspondent évidemment deux vérités différentes, même si leur nom est le même.

Paul VeyneLes Grecs ont-ils cru à leurs mythes ? 1983, Editions du Seuil, Points Essai, p. 96

Paul VeyneLes Grecs ont-ils cru à leurs mythes ?, 1983, Editions du Seuil, Points Essai, p. 96

C.

Coexistence of contradictory truths in the same mind by Paul Veyne

Compared to the Christian or Marxist centuries, Antiquity often has a Voltairean air. Two soothsayers cannot meet without smirking at each other, writes Cicero. I feel I am becoming a god, said a dying emperor.
This poses a general problem. Like the Dorzé, who imagine both that the leopard fasts and that one must be on guard against him everyday, the Greeks believe and do not believe in their myths. They believe in them, but they use them and cease believing at the point where their interest in believing ends. It should he added in their defense that their bad faith resided in their belief rather than in their ulterior motives. Myth was nothing more than a superstition of the half-literate, which the learned culled into question. The coexistence of contradictory truths in the same mind is nonetheless a universal fact. Lévi-Strauss’s sorcerer believes in his magic and cynically manipulates it. According to Bergson, the magician resorts to magic only when no sure technical recipes exist. The Greeks question the Pythia and know that sometimes this prophetess makes propaganda for Persia or Macedonia; the Romans fix their state religion for political purposes by throwing sacred fowl into the water if these do not furnish the necessary predictions: and all peoples give their oracles – or their statistical data – a nudge to confirm what they wish to believe. Heaven helps those who help themselves; Paradise, but the later the better. How could one not be tempted to speak of ideology here?

Paul Veyne, Did the Greeks Believe in Their Myths?: An Essay on the Constitutive Imagination, Chicago, University of Chicago Press, 1988, pp. 83_84

Comparée aux siècles chrétiens ou marxistes, l’Antiquité a souvent un air voltairien; deux augures ne peuvent se rencontrer sans sourire l’un de l’autre, écrit Cicéron; je sens que je deviens un dieu, disait un empereur agonisant.
Ce qui pose un problème général. Tels les Dorzé qui estiment à la fois que le léopard jeûne et qu’il faut se garder de lui tous les jours, les Grecs croient et ne croient pas à leurs mythes; ils croient, mais ils s’en servent et ils cessent d’y croire là où ils n’y ont plus intérêt ; il faut ajouter, à leur décharge, que leur mauvaise foi résidait plutôt dans la croyance que dans l’utilisation intéres- sée: le mythe n’était plus qu’une superstition de demi-lettrés, que les doctes révoquaient en doute. La coexistence en une même tête de vérités contradictoires n’en est pas moins un fait universel. Le sorcier de Lévi-Strauss croit à sa magie et la manipule cynique- ment, le magicien selon Bergson ne recourt à la magie que là où il n’existe pas de recettes techniques assurées, les Grecs interrogent la Pythie et savent qu’il arrive à cette prophétesse de faire de la propagande pour la Perse ou la Macédoine, les Romains truquent leur religion d’Etat à des fins politiques, jettent à l’eau les poulets sacrés s’ils ne prédisent pas ce qu’il faudrait, et tous les peuples donnent un coup de pouce à leurs oracles ou à leurs indices statis- tiques pour se faire confirmer ce qu’ils désirent croire. Aide-toi, le ciel t’aidera; le Paradis, mais le plus tard possible. Comment ne serait-on pas tenté de parler ici d’idéologie?

Paul VeyneLes Grecs ont-ils cru à leurs mythes ? 1983, Editions du Seuil, Points Essai, p. 94

Paul VeyneLes Grecs ont-ils cru à leurs mythes ?, 1983, Editions du Seuil, Points Essai, p. 94

A.

A performative sentence by J. L. Austin

In these examples it seems clear that to utter the sentence (in, of course, the appropriate circumstances) is not to describe my doing of what I should be said in so uttering to be doing or to state that I am doing it: it is to do it. None of the utterances cited is either true or false: I assert this as obvious and do not argue it. It needs argument no more than that ‘damn’ is not true or false: it may be that the utterance ‘serves to inform you’-but that is quite different. To name the ship is to say (in the appropriate circumstances) the words ‘I name, &c.’. When I say, before the registrar or altar, &c., ‘I do’, I am not reporting on a marriage : I am indulging in it.
What are we to call a sentence or an utterance of this type? I propose to call it a performative sentence or a performative utterance, or, for short, ‘a performative’. The term ‘performative’ will be used in a variety of cognate ways and constructions, much as the term ‘imperative’ is.

J. L. Austin, How to do things with words, Oxford at the Clarendon Press, 1955, p. 6

Pour ces exemples, il semble clair qu’énoncer la phrase (dans les circonstances appropriées, évidemment), ce n’est ni décrire ce qu’il faut bien reconnaître que je suis en train de faire en parlant ainsi, ni affirmer que je le fais : c’est le faire. Aucune des énonciations citées n’est vraie ou fausse : j’affirme la chose comme allant de soi et ne la discute pas. On n’a pas plus besoin de démontrer cette assertion qu’il n’y a à prouver que « Damnation!» n’est ni vrai ni faux: il se peut que l’énonciation « serve mettre au courant »- mais c’est là tout autre chose. Baptiser un bateau, c’est dire (dans les circonstances appropriées) les mots « Je baptise… » etc. Quand je dis, à la mairie ou à l’autel, etc., « Oui [je le veux]», je ne fais pas le reportage d’un mariage : je me marie.
Quel nom donner à une phrase ou à une énonciation de ce type ? Je propose de l’appeler une phrase performative ou une énonciation performative ou – par souci de brièveté – un « performatif ». Le terme « performatif » sera utilisé dans une grande variété de cas et de constructions (tous apparentés), à peu près comme l’est le terme e impératif ».

John Langshaw Austin, Quand dire, c’est faire (1955), Editions du Seuil, 1970, Paris, p. 41

John Langshaw Austin, Quand dire, c’est faire (1955), Editions du Seuil, 1970, Paris, p. 41

W.

What then can the analyst’s desire be? by Jacques Lacan

This is because the drive divides the subject and the desire, which desire only sustains itself from the relationship that it ignores, from this division to an object that causes it. Such is the structure of fantasy.
What then can the analyst’s desire be? What can be the cure to which he devotes himself?
Will he fall into the preaching that discredits the priest whose good feelings have replaced his faith, and will he, like him, assume an abusive “direction”? One can only notice here that, except for the libertine that was the great comic of the century of genius, the privilege of the doctor, no less religious than others, has not been attacked there, any more than in the century of enlightenment.
Can the analyst take shelter of this ancient investiture, when, secularized, it goes to a socialization that will not be able to avoid neither eugenics, nor the political segregation of the anomaly? Will the psychoanalyst take over, not of an eschatology, but of the rights of a first end?
Then, what is the end of the analysis beyond the therapeutic one? It is impossible not to distinguish it when it is a question of making an analyst.

For as we have said without going into the substance of the transference, it is the desire of the analyst that ultimately operates in psychoanalysis.

Ceci pour la raison que la pulsion divise le sujet et le désir, lequel désir ne se soutient que du rapport qu’il méconnaît, de cette division à un objet qui la cause. Telle est la structure du fantasme.
Dès lors quel peut être le désir de l’analyste ? Quelle peut être la cure à laquelle il se voue?
Va-t-il tomber dans la prêcherie qui fait le discrédit du prêtre dont les bons sentiments ont remplacé la foi, et assu- mer comme lui une « direction » abusive? On ne saurait ici que remarquer qu’à ce libertin près qu’était le grand comique du siècle du génie, on n’y a pas, non plus qu’au siècle des lumières, attenté au privilège du médecin, non moins religieux pourtant que d’autres.
L’analyste peut-il s’abriter de cette antique investiture, quand, laïcisée, elle va à une socialisation qui ne pourra éviter ni l’eugénisme, ni la ségrégation politique de l’anomalie ? Le psychanalyste prendra-t-il la relève, non d’une eschatologie, mais des droits d’une fin première ?
Alors, quelle est la fin de l’analyse au-delà de la thérapeutique ? Impossible de ne pas l’en distinguer quand il s’agit de faire un analyste.
Car nous l’avons dit sans entrer dans le ressort du transfert, c’est le désir de l’analyste qui au dernier terme opère dans la psychanalyse.

Jacques Lacan,  “Du “Trieb” de Freud et du désir du Psychanalyste” Écrits II :, Nouvelle éd., Paris, Ed. du Seuil, 1999, p. 315

C.

Counter-transference arises as a result of patient’s influence

Other innovations in technique relate to the physician himself. We have begun to consider the counter-transference, which arises in the physician as a result of the patient’s influence on his unconscious feelings, and have nearly come to the point of requiring the physician to recognize and overcome this counter-transference in himself. Now that a larger number of people have come to practise psychoanalysis. and mutually exchange their experiences, we have noticed that every analyst’s achievement is limited by what his own complexes and resistances permit, and consequently we require that he should begin his practice with a self-analysis and should extend and deepen this constantly while making his observations on his patients. Anyone who cannot succeed in this self- analysis may without more ado regard himself as unable to treat neurotics by analysis.

Sigmund Freud, “The Future Prospects of Psycho-Analytic Therapy” in Therapy and Technique – The Collected Papers of Sigmund Freud vol. 2 (1910), Collier Books, New York, 1963, p. 289

D’autres innovations de la technique concernent la personne du médecin lui-même. Nous sommes devenus attentifs au « contre- transfert » qui s’installe chez le médecin de par l’influence du patient sur la sensibilité inconsciente du médecin et nous ne sommes pas loin d’avancer l’exigence que le médecin doive obligatoirement reconnaitre en lui-même et maîtriser ce contre-transfert. Nous avons remarqué, depuis qu’un assez grand nombre de personnes pratiquent la psychanalyse et échangent entre elles leurs expériences, que chaque psychanalyste ne va qu’aussi loin que le permettent ses propres complexes et résistances internes, et nous reclamons par conséquent qu’il commence son activité par son auto-analyse, et approfondisse continuellement celle-ci au fur et à mesure de ses expériences avec le malade. Celui qui n’arrive à rien dans une telle auto-analyse n’a pas autre chose à faire qu’à se contester à lui-même la capacité de traiter analytiquement des malades.

Sigmund Freud, “Les chances d’avenir de la thérapie psychanalytique” in La technique psychanalytique (1910), PUF, Paris, 2007, p. 31

Sigmund Freud, “Les chances d’avenir de la thérapie psychanalytique” in La technique psychanalytique (1910), PUF, Paris, 2007, p. 31

T.

To dominate “countertransference” from Freud to C.G. Jung

Dear friend, 7 June 1909, Vienna, IX. Berggasse 19

Since I know you take a personal interest in the Sp.* matter I am informing you of developments. Of course there is no need for you to answer this.

I understood your telegram correctly, your explanation confirmed my guess. Well, after receiving your wire I wrote Fraulein Sp.* a letter in which I affected ignorance, pretending to think her suggestion was that of an over-zealous enthusiast. I said that since the matter on which she wished to see me was of interest chiefly to myself, I could not take the responsibility of encouraging her to take such a trip and failed to see why she should put herself out in this way. It therefore seemed preferable that she should first acquaint me with the nature of her business. I have not yet received an answer.

Such experiences,

though painful, are necessary and hard to avoid. Without them we cannot really know life and what we are dealing with. I myself have never been taken in quite so badly, but I have come very close to it a number of times and had a narrow escape , I believe that only grim necessities weighing on my work, and the fact that I was ten years older than yourself when I came to A, have saved me from similar experiences. But no lasting harm is done. They help us to develop the thick skin we need and to dominate “countertransference”, which is after all a permanent problem for us; they teach us to displace our own affects to best advantage. They are a “blessing in disguise ” (2).

The way these women manage to charm us with every conceivable psychic perfection until they have attained their purpose is one of nature’s greatest spectacles. Once that has been done or the contrary has become a certainty, the constellation changes amazingly. Now for some general news:

Gross, Vber psychopathische Minderwertigkeiten , Vienna, Braumiiller, 1909. I received the book from his old man, who, in response to my letter of thanks and appreciation, asked me to write to Otto, telling him how much I had liked the book and that I should like to discuss certain parts of it with him. Then, after meeting with him, I was to write the father my opinion. This I firmly declined to do, citing the results of your examination. I have too much respect for Otto Gross.

Today

I received a charming letter from Marcinowski, in which he declares himself to be our staunch supporter and comrade in struggle. He tells me that three further papers are being published in various places. He is trying to make contact with our group and is asking for addresses. His is: Sanatorium Haus Sielbeck a. Uklei, Holstein. I believe he is a worthwhile acquisition, an able man. Ivhaven’t received his paper yet.

I haven’t seen anything either about the Jahrbuch as a whole. Our Ferenczi has written a review for a Vienna paper. (3) The first blast against Little Hans has finally appeared in today’s Neurologisches Zentralblatt. The reviewer is Braatz; (4) he provides such a beautiful example of affective imbecility that one is tempted to forgive him for everything. Right next to it there is a review of Fraulein Chalewsky’s (5) little paper by Kurt Mendel (6) in person—unforgivably impudent. Today I also chanced to receive the new Lehrbuch der Nervenkrankheiten (Curschmann). (7) Aschaffenburg does the neuroses. There is none of his usual acrimony, but of course it is dismal, empty, etc.

An eventful day, as you can see. The story about the “glass rear end” appeared in the Z ukunft* I don’t remember when. The context of your letter shows you haven’t forgotten the meaning.

With a confident hand-shake and kind regards,

Sincerely yours, Freud.

1 English in original.
2 English in original.
3 Not traced; perhaps not published.
4 Emil Braatz (18657-1934), Berlin psychiatrist, in Neurologisches Zentralblatt, XXVIII (7 June 09), 585. Braatz also criticized Jung’s Amsterdam lecture in the review. For his attack on Abraham in Nov. 08, see 114 F.
5 Fanny Chalewsky, “Heilung eines hysterischen Bellens durch Psychoanalyse,” Zentralblatt fiir Nervenheilkunde und Psychiatrie , n.s., XX (1909). Chalewsky, from Rostov on the Don (Russia), had earned her M.D. at Zurich in 1907.
6 Kurt Mendel (1874-19—), Berlin psychiatrist, editor of the Neurologisches
Zentralblatt. See Jung, “On the Criticism of Psychoanalysis,” CW 4 (orig. Jahr-
7 Hans Curschmann (1875-1950), with F. Kramer, Lehrbuch der Nervenkrank¬
heiten (1909).

The Freud / Jung Letter, The Correspondence between Sigmund Freud and Carl Gustav Jung, Edited by W. McGuire, Translated by R Manheim and R. F. C. Hull, Bollingen Series XCIV, Princenton University Press, Princeton, 1974

* Sabina Spielrein

Sabina Spielrein

Cher ami, 7 juin 1909, Vienne, IX. Berggasse 19

Comme je sais que vous êtes personnellement intéressé par l’affaire Sp.*, je vous informe de l’évolution de la situation. Bien entendu, il n’est pas nécessaire que vous répondiez à cette lettre.

J’ai bien compris votre télégramme, votre explication a confirmé ma supposition. Après avoir reçu votre télégramme, j’ai écrit à Fraulein Sp.* une lettre dans laquelle j’ai fait semblant d’ignorer, en feignant de croire que sa suggestion était celle d’une enthousiaste trop zélée. Je lui ai dit qu’étant donné que le sujet pour lequel elle souhaitait venir pour principalement me voir moi-même, je ne pouvais pas prendre la responsabilité de l’encourager à faire un tel voyage et que je ne voyais pas pourquoi elle se mettrait en danger de cette façon. Il m’a donc semblé préférable qu’elle me fasse d’abord connaître la nature de son activité. Je n’ai pas encore reçu de réponse.

De telles expériences,

bien que douloureuses, sont nécessaires et difficiles à éviter. Sans elles, nous ne pouvons pas vraiment connaître la vie et ce à quoi nous avons affaire. Je crois que seules les sombres nécessités qui pèsent sur mon travail et le fait que j’avais dix ans de plus que vous lorsque je suis arrivé à A m’ont épargné de telles expériences. Mais il n’y a pas de mal irréversible. Elles nous aident à développer l’épiderme dont nous avons besoin et à dominer le “contre-transfert”, qui est après tout un problème permanent pour nous ; elles nous apprennent à déplacer nos propres affects pour en tirer le meilleur parti. Elles sont une “bénédiction déguisée” (2).

La façon dont ces femmes parviennent à nous charmer avec toutes les perfections psychiques imaginables jusqu’à ce qu’elles aient atteint leur but est l’un des plus grands spectacles de la nature. Une fois que c’est fait ou que le contraire est devenu une certitude, la constellation change étonnamment. Passons maintenant à l’actualité générale :

Gross, Vber psychopathische Minderwertigkeiten , Vienne, Braumiiller, 1909. J’ai reçu le livre de son père qui, en réponse à ma lettre de remerciement et d’appréciation, m’a demandé d’écrire à Otto pour lui dire combien j’avais aimé le livre et que j’aimerais en discuter certaines parties avec lui. Ensuite, après l’avoir rencontré, je devais écrire au père pour lui faire part de mon opinion. J’ai fermement refusé de le faire, citant les résultats de votre examen. J’ai trop de respect pour Otto Gross.

Aujourd’hui,

j’ai reçu une charmante lettre de Marcinowski, dans laquelle il se déclare notre fervent défenseur et camarade de lutte. Il me dit que trois autres articles sont en train d’être publiés dans différents endroits. Il essaie d’entrer en contact avec notre groupe et demande des adresses. La sienne est la suivante : Sanatorium Haus Sielbeck a. Uklei, Holstein. Je pense qu’il s’agit d’une acquisition intéressante, d’un homme compétent. Je n’ai pas encore reçu son document.

Je n’ai rien vu non plus concernant le Jahrbuch dans son ensemble. Notre Ferenczi a écrit une critique pour un journal viennois. (3) Le premier coup de gueule contre le Petit Hans est enfin paru dans le Neurologisches Zentralblatt d’aujourd’hui. Le chroniqueur en est Braatz ; (4) il donne un si bel exemple d’imbécillité affective qu’on est tenté de tout lui pardonner. Juste à côté, il y a une critique du petit article de Fraulein Chalewsky (5) par Kurt Mendel (6) en personne – d’une impudence impardonnable. Aujourd’hui, j’ai également eu la chance de recevoir le nouveau Lehrbuch der Nervenkrankheiten (Curschmann). (7) Aschaffenburg fait les névroses. Il n’y a pas sa hargne habituelle, mais bien sûr c’est lugubre, vide, etc.

Une journée mouvementée, comme vous pouvez le constater. L’histoire de l'”arrière en verre” est parue dans le Zukunft je ne sais plus quand. Le contexte de votre lettre montre que vous n’avez pas oublié le sens.

Avec une poignée de main confiante et mes salutations distinguées,

Sincèrement, Freud.

Sigmund Freud, Correspondances avec C.G. Jung, Paris, Gallimard, nrf, 1975

&.

“Although it was not true, it was well said” by Paul Veyne

To say that, as a consequence, myth became a political ideology is not false, but it does not help us very much. A detail leads us beyond these generalities: the Greeks often seem not to believe very much in their political myths and were the first to laugh at them when they flaunted them on ceremonial occasions. Their use of etiology was formal; in fact, myth had become rhetorical truth. One imagines, then, that what they felt was less disbelief, strictly speaking, than a feeling of conventionality or derision in response to the fixed character of this mythology. Hence, a special modality of belief: the content of set speeches was perceived not as true or, moreover, as false, but as verbal. The obligations of this “stock language” devolve not to the side of political power but to an institution peculiar to the period: rhetoric. Nevertheless, interested parties were not against it, for they could distinguish between the letter and the good intention: although it was not true, it was well said.

Paul Veyne, Did the Greeks Believe in Their Myths?: An Essay on the Constitutive Imagination, Chicago, University of Chicago Press, 1988, p. 79

Dire que, par conséquent, le mythe était devenu une idéologie politique n’est même pas faux, mais demeure peu instructif. Un détail mène au-delà de ces généralités : les Grecs semblent souvent ne pas avoir cru beaucoup à leurs mythes politiques et ils étaient les premiers à en rire lorsqu’ils les étalaient en cérémonie. Ils faisaient un usage cérémoniel de l’aitiologie; en effet, le mythe était devenu vérité rhétorique. On devine alors qu’ils éprouvaient moins de l’incroyance, à proprement parler, qu’un sentiment de convention ou de dérision devant le caractère convenu de cette mythologie. D’où une modalité particulière de croyance: le contenu des discours d’apparat n’était pas senti comme vrai et pas davantage comme faux, mais comme verbal. Les responsabilités de cette « langue de bois » ne sont pas du côté des pouvoirs politiques, mais d’une institution propre à cette époque, à savoir la rhétorique. Les intéressés n’étaient pas contre pour autant, car ils savaient distinguer la lettre et la bonne intention: si ce n’était pas vrai, c’était bien trouvé.

Paul VeyneLes Grecs ont-ils cru à leurs mythes ? 1983, Editions du Seuil, Points Essai, p. 89

Paul VeyneLes Grecs ont-ils cru à leurs mythes ?, 1983, Editions du Seuil, Points Essai, p. 89

R.

Relationships among truths are relationships of force by Paul Veyne

One does not know what one does not have the right to ask* (whence the sincere blindness of so many husbands and parents), and one does not doubt what others believe, if they are respected. Relationships among truths are relationships of force. This is the root of what is called bad faith.

Paul Veyne, Did the Greeks Believe in Their Myths?: An Essay on the Constitutive Imagination, Chicago, University of Chicago Press, 1988, p. 41

On ne sait pas ce qu’on n’a pas le droit de chercher à savoir (d’où la sincère cécité de tant de maris ou de parents) et on ne doute pas de ce que d’autres croient, s’ils sont à respecter : les rapports entre vérités sont des rapports de force. D’où ce qu’on appelle la mauvaise foi.

Paul VeyneLes Grecs ont-ils cru à leurs mythes ? 1983, Editions du Seuil, Points Essai, p. 52

Paul VeyneLes Grecs ont-ils cru à leurs mythes ?, 1983, Editions du Seuil, Points Essai, p. 52

*Here, we disagree with the translation. In french, Veyne has written “the right to look to know“, which has the advantage not introducing “ask” concept.

H.

Historians can never predict anything by Paul Veyne

Thus, historians and sociologists can never predict anything and can always be right. As Bergson writes in his admirable study on the possible and the real, the inventive nature of becoming is such that it is only by a retrospective illusion that the possible seems to exist prior to the real : “How can we not see that if the event is always explained after the fact by such and such antecedent events, a completely different event would also be equally explained, in the same circumstances, by antecedents otherwise chosen-how to put it? by the same antecedents broken down, distributed, and perceived in a different way and, finally, by retrospective attention?” So let us not get too impassioned for or against the post eventum analysis of the causal structures among the student population of Nanterre in April, 1968. In May of 1968 or July of 1789, if the revolutionaries had for some minor reason discovered a passion for a new religiosity, after the fact we would probably be able to find, in their mentalité, a means of making this fashion understandable. The simplest way is still to conveniently break down the event rather than the causes. If May of 1968 is an explosion of dissatisfaction with the administration (surrounded, alas, by a charade which, being exaggerated, does not truly exist), the true explanation of May, 1968, will assuredly be the poor administrative organization of the university system of the time.

Paul Veyne, Did the Greeks Believe in Their Myths?: An Essay on the Constitutive Imagination, Chicago, University of Chicago Press, 1988, pp. 36-37

Aussi les historiens et les sociologues peuvent-ils ne jamais rien prévoir et avoir toujours raison; comme l’écrit Bergson dans son admirable étude sur le possible et le réel, l’inventivité du devenir est telle que le possible ne semble préexister au réel que par une illusion rétrospective: “Comment ne pas voir que si l’événement s’explique toujours, après coup, par tels ou tels des événements antécédents, un événement tout différent se serait aussi bien expliqué, dans les mêmes circonstances, par des antécédents autrement choisis que dis-je ? par les mêmes antécédents autrement découpés, autrement distribués, autrement aperçus, enfin, par l’attention rétrospective ?” Aussi ne nous passionnerons nous pas pour ou contre l’analyse post eventum des structures causales dans la population étudiante de Nan- terre en avril 1968; en mai 68 ou en juillet 89, si les révolutionnaires, par quelque petite cause, avaient inventé de s’enflammer pour une religiosité nouvelle, nous trouverions bien, dans leur mentalité, le moyen de rendre cette mode compréhensible après coup. Le plus simple est encore de découper commodément l’événement lui-même plutôt que ses causes: si mai 68 est une explosion de mécontentement administratif (entouré, hélas ! d’une chienlit qui, étant exagérée, n’existe pas vraiment), la vraie explication de mai 68 sera assurément la mauvaise organisation administrative du système universitaire de l’époque.

Paul VeyneLes Grecs ont-ils cru à leurs mythes ? 1983, Editions du Seuil, Points Essai, pp. 48-49

Paul VeyneLes Grecs ont-ils cru à leurs mythes ?, 1983, Editions du Seuil, Points Essai, pp. 48-49

E.

Empiricism lurks a metaphor by Paul Veyne

Nothing is simpler or more empirical in appearance than causality. Fire makes water boil; the rise of a new class brings about a new ideology. This apparent simplicity camouflages a complexity we are unaware of, a polarity between action and passivity. Fire is an agent that makes itself be obeyed; water is passive and does what the fire makes it do. In order to know what will happen, it is necessary to see in what direction the cause moves the effect; for the effect can no more innovate than a billiard ball can when it is struck and propelled by another. Same cause, same effect; causality will mean regular succession. The empirical interpretation of causality is no different. It abandons the anthropomorphism of a slave-like effect, regularly obeying the order of its cause, but it retains the essential part of the argument, the idea of regularity. Under the false sobriety of empiricism lurks a metaphor.
Now, since one metaphor is as good as another, one could as easily speak of fire and boiling or a rising class and its revolution in different terms, in which only active subjects operated. Then one would say that when an apparatus is assembled, comprising fire, a pot, water, and an infinity of other details, water “invents” boiling and will reinvent it each time it is put on the fire. As an agent, it responds to a situation; it actualizes a polygon of possibilities and deploys an activity that channels a polygon of tiny causes, which are obstacles limiting this energy more than they are motors. The metaphor is no longer that of a ball thrown in a specific direction but that of an elastic gas occupying the space left to it. It is no longer by considering “the” cause that we know what the gas will do; or rather, there is no longer any cause. The polygon does not permit the prediction of the future configuration of this expansion of energy; rather, it is the expansion of energy that reveals the polygon. This natural resiliency is also called the will to power.
If we lived in a society in which this metaphorical scheme operated. we would have no trouble admitting that a revolution, an intellectual fashion, a thrust of imperialism, or the success of a political system responds not to human nature, the needs of society, or the logic of things, but that this is a fashion, a project that we get stirred up about.

Paul Veyne, Did the Greeks Believe in Their Myths?: An Essay on the Constitutive Imagination, Chicago, University of Chicago Press, 1988, pp. 34-35

Rien de plus empirique et de plus simple, en apparence, que la causalité; le feu fait bouillir l’eau, la montée d’une classe nouvelle amène une nouvelle idéologie. Cette apparente simplicité camoufle une complexité qui s’ignore: une polarité entre l’action et la passivité; le feu est un agent qui se fait obéir, l’eau est passive et elle fait ce que le feu lui fait faire. Pour savoir ce qui se passera, il suffit donc de voir quelle direction la cause fait prendre à l’effet, qui ne peut pas plus innover qu’une boule de billard poussée par une autre dans une direction déterminée. Même cause, même effet: causalité signifiera succession régulière. L’interprétation empiriste de la causalité n’est pas différente; elle renonce à l’anthropomorphisme d’un effet esclave qui obéirait régulièrement à l’ordre de sa cause, mais elle en conserve l’essentiel: l’idée de régularité; la fausse sobriété de l’empirisme dissimule une métaphore.
Or, une métaphore en valant une autre, on pourrait tout aussi bien parler du feu et de l’ébullition ou d’une classe montante et de sa révolution en des termes différents, où il n’y aurait plus que des sujets actifs: on dirait alors que, lorsque est réuni un dispositif comprenant du feu, une casserole, de l’eau et une infinité d’autres détails, l’eau «invente» de bouillir; et qu’elle le réinventera, chaque fois qu’on la mettra sur le feu: comme un acteur, elle répond à une situation, elle actualise un polygone de possibilités, elle déploie une activité que canalise un polygone de petites causes; celles-ci sont plus des obstacles qui limitent cette énergie que des moteurs. La métaphore n’est plus celle d’une boule lancée dans une direction déterminée, mais d’un gaz élastique qui occupe l’espace qui lui est laissé. Ce n’est plus en considérant «la» cause que l’on saura ce que ce gaz va faire ou plutôt il n’y a plus de cause: le polygone permet moins de prévoir la future configuration de cette énergie en expansion qu’il n’est révélé par l’expansion elle-même. Cette élasticité naturelle est appelée aussi volonté de puissance.
Si nous vivions dans une société où ce schéma métaphorique serait consacré, nous n’aurions aucune peine à admettre qu’une révolution, une mode intellectuelle, une poussée d’impérialisme ou le succès d’un système politique ne répondent pas à la nature humaine, aux besoins de la société ou à la logique des choses, mais que ce sont des modes, des projets pour lesquels on s’enflamme.

Paul Veyne, Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ? 1983, Editions du Seuil, Points Essai, p. 47

Paul VeyneLes Grecs ont-ils cru à leurs mythes ?, 1983, Editions du Seuil, Points Essai, p. 44

T.

To believe is to obey by Paul Veyne

Each society had its doubters, who were more or less numerous and bold, depending on the indulgence displayed by the authorities. Greece had its share, as is attested by a remarkable line from Aristophanes‘ The Knights*. A slave despairing over his fate says to his companion in misfortune, “The only thing left to do is to throw ourselves at the feet of the gods,” and his comrade answers him, “Indeed! Say, then, do you really believe that there are gods?” I am not sure that this slave’s eyes were opened by the Sophist enlightenment. He belongs to the irreducible fringe of unbelievers who make their refusal less because of reason and the movement of ideas than in reaction to a subtle form of authority, the very same authority that Polybius attributed to the Roman Senate and that is practiced by all those who ally their throne to the altar**. Not that religion necessarily has a conservative influence, but some modalities of belief are a form of symbolic obedience. To believe is to obey. The political role of religion is not at all a matter of ideological content.

Paul Veyne, Did the Greeks Believe in Their Myths?: An Essay on the Constitutive Imagination, Chicago, University of Chicago Press, 1988, pp. 31-32

Chaque société a eu se cancres en piété, plus ou moins nombreux et effrontés selon que l’autorité était plus ou moins indulgente, La Grèce a eu les siens au témoignage d’un vers remarquable des Cavaliers d’Aristophane*; un esclave qui désespère de son sort dit à son compagnon d’infortune: «Il ne nous reste plus qu’à nous jeter aux pieds de images des dieux », et son camarade lui répond: « Vraiment! Dis tu crois vraiment qu’il y a des dieux ?»; je ne suis pas sûr que ce esclave ait eu les yeux dessillés par les Lumières des Sophistes: appartient à la marge incompressible d’incrédules dont le refuses moins dû à des raisonnements et au mouvement des idées qu’a une réaction contre une forme subtile d’autorité, celle-là même que Polybe attribuait au sénat romain et que pratiqueront tous ceux qui allieront leur trône à l’autel**. Non que la religion ait nécessairement une influence conservatrice, mais certaines modalités de croyance sont une forme d’obéissance symbolique; croire, c’est obéir. Le rôle politique de la religion n’est nullement une affaire de contenu idéologique.

Paul Veyne, Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ? 1983, Editions du Seuil, Points Essai, p. 44

*Aristophane, Cavaliers, 32; cf. Nilsson, Geschichte der griech Religion, vol. I, p. 780

** Polybe, VI, 56; pour Flavius Josèphe, Contre Apion, Moïse a vu dans la religion un moyen de faire la vertu (II, 160). Même liaison utilitaire de la religion et de la morale chez Platon, Lois, 839 Cet 838 BD. Et chez Aristote, Métaph., 1074 B4.

Paul Veyne, Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ?, 1983, Editions du Seuil, Points Essai, p. 44

S.

Symbiosis between misogyny and white supremacy by ADL

There is a robust symbiosis between misogyny and white supremacy; the two ideologies are powerfully intertwined. While not all misogynists are racists, and not every white supremacist is a misogynist, a deep-seated loathing of women acts as a connective tissue between many white supremacists, especially those in the alt right, and their lesser-known brothers in hate like incels (involuntary celibates), MRAs (Men’s Rights Activists) and PUAs (Pick Up Artists). This cross-pollination means the largely anonymous outrage of the men’s rights arena acts as a bridge to the white supremacist and anti-Semitic ideology of the alt right. After all, it’s not a huge leap from “women’s quest for equal rights threatens my stature as a man” to “minorities’ and women’s quests for equal rights threaten my stature as a white man.”

Anti-Defamation League

Il existe une solide symbiose entre misogynie et suprématie blanche ; les deux idéologies sont fortement imbriquées. Bien que tous les misogynes ne soient pas racistes et que tous les suprémacistes blancs ne soient pas misogynes, un profond dégoût des femmes sert de tissu conjonctif entre de nombreux suprémacistes blancs, en particulier ceux d’extrême-droite, et leurs frères de haine moins connus comme les Incels (célibataires involontaires), les MRA (activistes des droits de l’homme-au-masculin) et les PUA (artistes de la drague). Cette pollinisation croisée signifie que l’indignation largement anonyme de l’arène des droits de l’homme sert de pont à l’idéologie suprématiste blanche et antisémite de l’extrême-droite. Après tout, il n’y a pas un grand pas à faire entre “la quête des femmes pour l’égalité des droits menace ma stature d’homme” et “la quête des minorités et des femmes pour l’égalité des droits menace ma stature d’homme blanc”.

Anti-Defamation League

ADL, When Women are the Enemy: The Intersection of Misogyny and White Supremacy, 2018

I.

Imaginations of the mind contain no error by Baruch Spinoza

Note on Proposition XVII
But in order that we may retain the customary phraseology, we will give to those modifications of the human body, the ideas of which represent to us external bodies as if they were present, the name of images of things, although they do not actually reproduce the forms of the things. When the mind contemplates bodies in this way, we will say that it imagines. Here I wish it to be observed, in order that I may begin to show what error is, that these imaginations of the mind, regarded by themselves, contain no error, and that the mind is not in error because it imagines, but only in so far as it is considered as wanting in an idea which excludes the existence of those things which it imagines as present. For if the mind, when it imagines non-existent things to be present, could at the same time know that those things did not really exist, it would think its power of imagination to be a virtue of its nature and not a defect, especially if this faculty of imagining depended upon its own nature alone, that is to say (Def. 7, pt. 1), if this faculty of the mind were free.

Baruch Spinoza, Ehics (1677), Hafner Publishing Company, New-York, 1949, pp. 97-98

Scholie. Proposition XVII
Or ces affections du corps humain, dont les idées nous représentent les corps extérieurs comme nous étant présents, nous les appellerons, pour nous servir des mots d’usage, images des choses, bien que la figure des choses n’y soit pas contenue. Et lorsque l’âme aperçoit les corps de cette façon, nous dirons qu’elle imagine. Maintenant, pour indiquer ici par avance en quoi consiste l’erreur, je prie qu’on prenne garde que les imaginations de l’âme considérées en elles-mêmes ne contiennent rien d’erroné ; en d’autres termes, que l’âme n’est point dans l’erreur en tant qu’elle imagine, mais bien en tant qu’elle est privée d’une idée excluant l’existence des choses qu’elle imagine comme présentes. Car si l’âme, tandis qu’elle imagine comme présentes des choses qui n’ont point de réalité, savait que ces choses n’existent réellement pas, elle attribuerait cette puissance imaginative non point à l’imperfection, mais à la perfection de sa nature, surtout si cette faculté d’imaginer dépendait de sa seule nature, je veux dire (par la Déf. 7, partie 2) si cette faculté était libre.

Baruch Spinoza, Ethique (1677), Trad. Saisset 1849, Spinoza et Nous, 2002, p. 55

Baruch Spinoza, Ethique (1677), Trad. Saisset 1849, Spinoza et Nous, 2002, p. 55

B.

Beware of underestimating influence of social by Sigmund Freud

One might consider characterizing femininity psychologic ally as giving preference to passive aims. This is not, of course, the same thing as passivity; to achieve a passive aim may call for a large amount of activity. It is perhaps the case that in a woman, on the basis of her share in the sexual function, a preference for passive behaviour and passive aims is carried over into her life to a greater or lesser extent, in proportion to the limits, restricted or far-reaching, within which her sexual life thus serves as a model. But we must beware in this of underestimating the influence of social customs, which similarly force women into passive situations. All this is still far from being cleared up. There is one particularly constant relation between femininity and instinctual life which we do not want to overlook. The suppression of women’s aggressiveness which is prescribed for them constitutionally and imposed on them socially favours the development of powerful masochistic impulses, which succeed, as we know, in binding erotically the destructive trends which have been diverted inwards. Thus masochism, as people say, is truly feminine. But if, as happens so often, you meet with masochism in men, what is left to you but to say that these men exhibit very plain feminine traits?

Sigmund Freud, “Femininity” in New Introductory Lectures on Psychoanalysis (1932), Trad. James Strachey, Norton & Company, New York, 1965, p. 102

Peut-être pourrait-on dire que la féminité se caractérise, au sens psychologique, par un penchant vers des buts passifs, ce qui n’est pas la même chose que de parler de passivité. En effet, il est quelquefois nécessaire de déployer une grande activité pour atteindre des buts passifs. Il est possible qu’il existe chez la femme, du fait de son rôle dans la fonction sexuelle, une tendance plus marquée aux comportements et aux buts passifs, tendance qui s’accentue ou s’atténue suivant que ce caractère exemplaire de la vie sexuelle est, dans chaque cas, plus ou moins étendu ou limité. Gardons-nous cependant de sous-estimer l’influence de l’organisation sociale qui, elle aussi, tend à placer la femme dans des situations passives. Tout cela reste encore très obscur. Ne négligeons pas non plus le rapport particulièrement constant qui existe entre la féminité et la vie pulsionnelle. Les règles sociales et sa constitution propre contraignent la femme à refouler ses instincts agressifs, d’où formation de tendances fortement masochiques qui réussissent à érotiser les tendances destructrices dirigées vers le dedans. Le masochisme est donc bien, ainsi qu’on l’a dit, essentiellement féminin. Mais alors, quand vous rencontrerez des hommes masochiques (et il n’en manque guère), vous en serez réduits à déclarer qu’ils présentent dans leur caractère des côtés nettement féminins.

Sigmund Freud, “Féminité” in Nouvelles conférences sur la psychanalyse (1932), Gallimard NRF, Paris, 1984, p. 70

Sigmund Freud, “Féminité” in Nouvelles conférences sur la psychanalyse (1932), Gallimard NRF, Paris, 1984, p. 70

I.

Insult expel from an imaginary universal by Laurie Laufer

Freud’s father, insulted, pinned down, identified by a term belonging to a dominant discourse, which is the mark of an established power, is summoned to get off the pavement, from the common public space. His place is in the mud, just like the fur hat he wears on prayer Saturday. The gesture and the insult expel Freud’s father from an imaginary universal, exposed by the discourse of a ruling power, and simultaneously create a minority category. By minority I mean a category of people to whom a dominant discourse confiscates speech and the use of their own bodies. The violence of the insult constrains to silence, throws the insulted out of their history, out of language itself, out of the humanity magnified in the imagination of a universalist ideal. “Being wounded by a discourse,” writes Judith Butler, “is suffering from an absence of context, it is not knowing where one stands”*.

Le père de Freud insulté, épinglé, identifié par un terme appartenant à un discours dominant, qui est la marque d’un pouvoir en place, est sommé de descendre du trottoir, de l’espace public commun. Sa place est dans la boue, à l’instar de ce bonnet de fourrure qu’il porte le samedi de prière. Le geste et l’insulte expulsent le père de Freud d’un universel imaginaire, exposé par le discours d’un pouvoir en place, et créent simultanément une catégorie minoritaire. J’entends ici par minorité une catégorie de personnes à qui un discours dominant confisque parole et usage de leur propre corps. La violence de l’insulte contraint au silence, jette l’insulté hors de son histoire, hors du langage même, hors de l’humanité magnifiée dans l’imaginaire d’un idéal universaliste. “Etre blessé par un discours, écrit Judith Butler, c’est souffrir d’une absence de contexte, c’est ne pas savoir où l’on est.”*

Laurie Laufer, Vers une psychanalyse émancipée – Renouer avec la subversion, La Découverte, Paris, 2022, p. 141

Quoting *Judith Butler, Le Pouvoir des mots, Politique du performatif (1997), Editions Amsterdam, Paris, 2004, p. 24

F.

Father’s unheroic conduct by Sigmund Freud

At that point I was brought up against the event in my youth whose power was still being shown in all these emotions and dreams. I may have been ten or twelve years old, when my father began to take me with him on his walks and reveal to me in his talk his views upon things in the world we live in. Thus it was, on one such occasion, that he told me a story to show me how much better things were now than they had been in his days. ‘When I was a young man,’ he said, ‘I went for a walk one Saturday in the streets of your birthplace; I was well dressed, and had a new fur cap on my head. A Christian came up to me and with a single blow knocked off my cap into the mud and shouted: “Jew! get off the pavement!”’ ‘And what did you do?’ I asked. ‘I went into the roadway and picked up my cap,’ was his quiet reply. This struck me as unheroic conduct on the part of the big, strong man who was holding the little boy by the hand. I contrasted this situation with another which fitted my feelings better: the scene in which Hannibal’s father, Hamilcar Barca*, made his boy swear before the household altar to take vengeance on the Romans. Ever since that time Hannibal had had a place in my phantasies.

Sigmund FreudThe Interpretation Of Dreams (1900), Trad. STRACHEY J. (1955), Basic Books, New York, 2010, p. 218 – 219

Me voici enfin arrivée à l’expérience vécue de ma jeunesse qui aujourd’hui encore manifeste sa puissance dans toutes ces sensations et tous ces rêves. Je devais avoir dans les dix ou douze ans lorsque mon père commença à m’emmener avec lui dans ses promenades et à me confier, pendant nos conversations, ses vues sur les choses de ce monde. C’est ainsi qu’un jour il me fit le récit suivant, pour me montrer combien l’époque où j’étais arrivé au monde était meilleure que la sienne : “Étant encore un homme jeune, j’étais allé me promener dans la rue, le samedi, dans ta ville natale, avec mes beaux habits, un bonnet de fourrure tout neuf sur la tête. Un chrétien survient, envoie voler d’un coup mon bonnet dans la boue en criant : ‘Juif, descends du trottoir !’” “Et qu’as-tu fait ?” “Je suis passé sur la chaussée et j’ai ramassé le bonnet, telle fut sa placide réponse. Cela ne me parut pas héroïque, de la part de l’homme grand et fort qui menait par la main le petit bonhomme que j’étais. À cette situation qui ne me satisfaisait pas, j’en opposais une autre qui correspondait mieux à ma façon de sentir, la scène dans laquelle le père d’Hannibal, Hamilcar Barca*, fait jurer à son petit garçon, devant l’autel domestique, qu’il prendra vengeance des Romains. Depuis lors, Hannibal eu sa place dans mes fantaisies.

Sigmund FreudL’interprétation du rêve (1900), Trad. Coll., PUF, Paris, 2010, p. 234 – 235

*[Footnote added 1909:] In the first edition the name of Hasdrubal appeared instead : a puzzling mistake, which I have explained in my Psychopathology of Everyday Life (1901b), Chapter X (2).

*[Note ajoutée en 19091 Dans la première édition figurait ici le nom: Hasdrubal, erreur déconcertante dont j’ai apporté l’élucidation dans ma «Psychopathologie de la vie quotidienne » [Zur Pychopathologie des Alltagslebens, GW, IV, p. 243 et 245; OCF.P, V. L’erreur, “Hasdrubal au lieu d’Hamilcar, le nom du frère à la place de celui du père”, échappa à Freud « lors de trois corrections d’épreuves”.]

Sigmund FreudL’interprétation du rêve (1900), Trad. Coll., PUF, Paris, 2010, p. 234 – 235

The Interpretation Of Dreams 

B.

Better life after death as a recompense by Sigmund Freud

Religions continue to dispute the undeniable fact of the death of each one of us and to postulate a life after death; civil governments still believe that they cannot maintain moral order among the living if they do not uphold this prospect of a better life after death as a recompense for earthly existence. In our great cities, placards announce lectures which will tell us how to get into touch with the souls of the departed; and it cannot be denied that many of the most able and penetrating minds among our scientific men have come to the conclusion, especially towards the close of their lives, that a contact of this kind is not utterly impossible. Since practically all of us still think as savages do on this topic, it is no matter for surprise that the primitive fear of the dead is still so strong within us and always ready to come to the surface at any opportunity. Most likely our fear still contains the old belief that the deceased becomes the enemy of his survivor and wants to carry him off to share his new life with him. Considering our unchanged attitude towards death, we might rather inquire what has become of the repression, that necessary condition for enabling a primitive feeling to recur in the shape of an uncanny effect. But repression is there, too. All so-called educated people have ceased to believe, officially at any rate, that the dead can become visible as spirits, and have hedged round any such appearances with improbable and remote circumstances; their emotional attitude towards their dead, moreover, once a highly dubious and ambivalent one, has been toned down in the higher strata of the mind into a simple feeling of reverence.

Sigmund Freud, The “Uncanny”, First published in Imago, Bd. V., 1919; reprinted in Sammlung, Fünfte Folge. Translated by Alix Strachey

De nos jours encore, les religions contestent son importance au fait incontestable de la mort individuelle, et elles font continuer l’existence par-delà la fin de la vie ; les autorités publiques ne croiraient pas pouvoir maintenir l’ordre moral parmi les vivants, s’il fallait renoncer à voir la vie terrestre corrigée par un au-delà meilleur ; on annonce sur les colonnes d’affichage de nos grandes villes des conférences qui se proposent de faire connaître comment on peut se mettre en relation avec les âmes des défunts, et il est indéniable que plusieurs des meilleurs esprits et des plus subtils penseurs parmi les hommes de science, surtout vers la fin de leur propre vie, ont estimé que la possibilité à de pareilles communications n’était pas exclue. Comme la plupart d’entre nous pense encore sur ce point comme les sauvages, il n’y a pas lieu de s’étonner que la primitive crainte des morts soit encore si puissante chez nous et se tienne prête à resurgir dès que quoi que ce soit la favorise. Il est même probable qu’elle conserve encore son sens ancien : le mort est devenu l’ennemi du survivant, et il se propose de l’emmener afin qu’il soit son compagnon dans sa nouvelle existence. On pourrait plutôt se demander, vu cette immutabilité de notre attitude envers la mort, où se trouve la condition du refoulement exigible pour que ce qui est primitif puisse reparaître en tant qu’inquiétante étrangeté. Mais elle existe cependant ; officiellement, les soi-disant gens cultivés ne croient plus que les défunts puissent en tant qu’âmes réapparaître à leurs yeux, ils ont rattaché leur apparition à des conditions lointaines et rarement réalisées, et la primitive attitude affective à double sens, ambivalente, envers le mort, s’est atténuée dans les couches les plus hautes de la vie psychique jusqu’à n’être plus que celle de la piété.

Sigmund Freud, L’inquiétante étrangeté, Das Unheimliche, 1919, Essais de psychanalyse appliquée, traduit par M Bonaparte et E Marty

Sigmund Freud, “L’inquiétante étrangeté” in Essais de psychanalyse appliquée (1933), Gallimard, Paris, 1971

S.

Substitutive relation from eye and male member by Sigmund Freud

We may try to reject the derivation of fears about the eye from the fear of castration on rationalistic grounds, and say that it is very natural that so precious an organ as the eye should be guarded by a proportionate dread; indeed, we might go further and say that the fear of castration itself contains no other significance and no deeper secret than a justifiable dread of this kind. But this view does not account adequately for the substitutive relation between the eye and the male member which is seen to exist in dreams and myths and phantasies; nor can it dispel the impression one gains that it is the threat of being castrated in especial which excites a peculiarly violent and obscure emotion, and that this emotion is what first gives the idea of losing other organs its intense colouring. All further doubts are removed when we get the details of their “castration complex” from the analyses of neurotic patients, and realize its immense importance in their mental life.

Sigmund Freud, The “Uncanny”, First published in Imago, Bd. V., 1919; reprinted in Sammlung, Fünfte Folge. Translated by Alix Strachey

On peut tenter, du point de vue rationnel, de nier que la crainte pour les yeux se ramène à la peur de la castration ; on trouvera compréhensible qu’un organe aussi précieux que l’œil soit gardé par une crainte anxieuse de valeur égale, oui, on peut même affirmer, en outre, que ne se cache aucun secret plus profond, aucune autre signification derrière la peur de la castration elle-même. Mais on ne rend ainsi pas compte du rapport substitutif qui se manifeste dans les rêves, les fantasmes et les mythes, entre les yeux et le membre viril, et on ne peut s’empêcher de voir qu’un sentiment particulièrement fort et obscur s’élève justement contre la menace de perdre le membre sexuel et que c’est ce sentiment qui continue à résonner dans la représentation que nous nous faisons ensuite de la perte d’autres organes. Toute hésitation disparaît lorsque, de par l’analyse des névropathes, on a appris à connaître les particularités du « complexe de castration » et le rôle immense que celui-ci joue dans leur vie psychique.

Sigmund Freud, L’inquiétante étrangeté, Das Unheimliche, 1919, Essais de psychanalyse appliquée, traduit par M Bonaparte et E Marty

Sigmund Freud, “L’inquiétante étrangeté” in Essais de psychanalyse appliquée (1933), Gallimard, Paris, 1971

C.

Castration complex makes sexual union fearsome by André Green

However, everything that the analysis of the Wolf Man individualises as a ‘constitution’ harmful to masculinity, can be reversed into a positive value, applied to femininity. And this is the explanation of the article “On the transpositions of the impulses more particularly in anal eroticism” where the penis-baby-feces equivalence is defended as illuminating the vicissitudes of normal feminine sexuality, whereas the same constellation is burdened with a heavy pathological incidence in the Wolf Man. At this point, Freud completes his psychopathology of love life by writing the Taboo of Virginity. Henceforth, the male castration complex is no longer considered only from the angle of the male impotence that results from it, but also from that of what the woman would gain as acquired power by this means by chastising the man. Thus we move from the action of the castrating father to that of the castrating woman. The father deprives without receiving anything other than the preservation of his hegemonic power; the woman, on the other hand, would appropriate what belonged to the man, which she seizes for her own benefit. The castration anxiety emanating from the father was a regulator of sexuality intended to combat its excesses in incestuous confinement. By its extension to the role of the woman (and not of the mother) the castration complex no longer regulates sexuality, it makes sexual union fearsome when it does not become impossible. The evolution of the castration complex in Freud’s work inclines more and more to insist on its narcissistic consequences (the wound inflicted on bodily integrity and self-image). It also induces a narcissistic regression (the fear of the object, the refusal of otherness, the inclination to the inversion of the Oedipus complex) that can go as far as psychosis. It is not irrelevant to note that this evolution coincides with the progressive accentuation of women penis envy in the theory.

Cependant tout ce que l’analyse de l’Homme aux loups individualise comme « constitution » dommageable à la masculinité, peut être renversé en valeur positive, appliqué à la féminité. Et c’est l’explication de l’article « Sur les transpositions des pulsions plus particulièrement dans l’érotisme anal » où est défendue l’équivalence pénis-bébé-fèces éclairant les vicissitudes de la sexualité féminine normale, alors que la même constellation se retrouve grevée d’une lourde incidence pathologique chez l’Homme aux loups. A ce moment, Freud complète sa psychopathologie de la vie amoureuse en écrivant le Tabou de la virginité. Désormais, le complexe de castration masculin n’est plus seulement envisagé sous l’angle de l’impuissance masculine qui en résulte, mais aussi sous celui de ce que la femme en retirerait comme puissance acquise par ce moyen en châtrant l’homme. Ainsi on passe de l’action du père castrateur à celle de la femme castratrice. Le père prive sans rien recevoir d’autre que la conservation de son pouvoir hégémonique ; la femme, elle, s’approprierait ce qui était à l’homme dont elle s’empare à son profit. L’angoisse de castration émanant du père était un régulateur de la sexualité destiné à combattre les excès de celle-ci dans l’enfermement incestueux. Par son extension au rôle de la femme (et non de la mère) le complexe de castration ne régule plus la sexualité, il rend l’union sexuelle redoutable quand elle n’en devient pas impossible. L’évolution du complexe de castration dans l’œuvre de Freud incline toujours davantage à insister sur ses conséquences narcissiques (la blessure infligée à l’intégrité corporelle et à l’image de soi). Il est aussi inducteur d’une régression narcissique (la crainte de l’objet, le refus de l’altérité, l’inclination à l’inversion du complexe d’Œdipe) pouvant aller jusqu’à la psychose. Il n’est pas indifférent de noter que cette évolution coïncide avec l’accentuation progressive de l’envie du pénis chez la femme dans la théorie.

André Green, « Le complexe de castration chez Freud », dans : André Green éd., Le complexe de castration. Paris, Presses Universitaires de France, « Que sais-je ? », 2007, p. 35-70. URL : https://www.cairn.info/le-complexe-de-castration–9782130560173-page-35.htm

C.

Castration’s and sex difference’s denial by André Green

The denial of castration is different from what can be observed in the Oedipus as a challenge in a risky fight. Denial constitutes in fact a paradoxical reinforcement of castration insofar as the one who implements it ignores the cause of the denial and leaves it intact. To recognise the castration complex is already to give oneself the means to limit its effects. For to deny the threat of castration is to deny the entire organisation of the castration complex, and thus to ignore its structuring significance, that which obliges the subject to pose as such in front of it and to affirm the particularities of his own sexual identity in front of to himself and of the other sex. We see this very negation leads almost inevitably to the sex difference‘s denial.

Le déni de la castration est différent de ce qui peut s’observer dans l’Œdipe comme défi dans un combat risqué. Le déni constitue en fait un renforcement paradoxal de la castration dans la mesure où celui qui le met en œuvre méconnaît la cause du déni et la laisse intacte. Reconnaître le complexe de castration c’est déjà se donner les moyens d’en limiter les effets. Car nier la menace de castration, c’est nier l’entière organisation du complexe de castration, c’est donc ignorer sa portée structurante, celle qui oblige le sujet à se poser comme tel face à elle et y affirmer les particularités de son identité sexuelle face à lui-même et à l’autre sexe. On voit que la négation en question débouche de manière presque inévitable sur le déni de la différence des sexes.

André Green, « Le complexe de castration chez Freud », dans : André Green éd., Le complexe de castration. Paris, Presses Universitaires de France, « Que sais-je ? », 2007, p. 35-70. URL : https://www.cairn.info/le-complexe-de-castration–9782130560173-page-35.htm

P.

Projection in normal life by Salomon Resnik

‘The purpose of paranoia is to fend off an idea that is incompatible the ego, by projecting its substance into the external world’* (Freud), He goes on to say that two questions arise one is the transposition of this feeling (or relocation, removal in the sense of moving house) and the other is whether it applies to other cases of paranoia. For Freud, transposition or projection is a very common psychic mechanism. He seems here to be concerned with a quantitative increase in paranoïa of an otherwise normal phenomenon. But in Frau P.’s case he speaks also of distortion of perception – and therefore of a qualitative or substantial aspect. Freud suggests also the idea of a clinical differentiation between normal and pathological projection, in which case projection has its place in normal life; it is only abnormal or distorted projection which participates in the pathological or deluded perception of the world.

“Le but de la paranoïa est de repousser une idée incompatible avec le moi, en projetant sa substance dans le monde extérieur”* (Freud). Il poursuit en disant que deux questions se posent : l’une est celle de la transposition de ce sentiment (ou de la délocalisation, du déménagement au sens de l’emménagement) et l’autre est de savoir si elle s’applique à d’autres cas de paranoïa. Pour Freud, la transposition ou la projection est un mécanisme psychique très courant. Il semble ici s’intéresser à une augmentation quantitative de la paranoïa d’un phénomène par ailleurs normal. Mais dans le cas de Frau P., il parle aussi de distorsion de la perception – et donc d’un aspect qualitatif ou substantiel. Freud suggère également l’idée d’une différenciation clinique entre la projection normale et la projection pathologique, auquel cas la projection a sa place dans la vie normale ; ce n’est que la projection anormale ou déformée qui participe à la perception pathologique ou illusoire du monde.

Salomon Resnik, “Being in a persecutory world” in Even paranoids have enemies : new perspectives on paranoia and persecution, Routledge, London, 1998, p. 20

* Sigmund Freud, The standard edition of the complete psychological works of Sigmund Freud (1886-1889), vol.1, Hogarth Press, London, 1999, p. 209

P.

Paranoia : self-reproach as projection by Sigmund Freud

It only remains for me now to employ what has been learned from this case of paranoia for making a comparison between paranoia and obsessional neurosis. In each of them, repression has been shown to be the nucleus of the psychical mechanism, and in each what has been repressed is a sexual experience in childhood. In this case of paranoia, too, every obsession sprang from repression; the symptoms of paranoia allow of a classification similar to the one which has proved justified for obsessional neurosis. Part of the symptoms, once again, arise from primary defence – namely, all the delusional ideas which are characterized by distrust and suspicion and which are concerned with ideas of being persecuted by others. In obsessional neurosis the initial self-reproach has been repressed by the formation of the primary symptom of defence: self-distrust. With this, the self-reproach is acknowledged as justified; and, to weigh against this, the conscientiousness which the subject has acquired during his healthy interval now protects him from giving credence to the self-reproaches which return in the form of obsessional ideas. In paranoia, the self-reproach is repressed in a manner which may be described as projection. It is repressed by erecting the defensive symptom of distrust of other people. In this way the subject withdraws his acknowledgement of the self-reproach; and, as if to make up for this, he is deprived of a protection against the self-reproaches which return in his delusional ideas.

Sigmund Freud, FURTHER REMARKS ON THE NEURO-PSYCHOSES OF DEFENCE (1896), Click to access neuropsyremark.pdf

Il ne me reste plus qu’à utiliser ce que nous a appris ce cas de paranoïa pour une comparaison de la paranoïa et de la névrose obsessionnelle. Dans l’une et dans l’autre, il est montré que le refoulement est le noyau du mécanisme psychique, et le refoulé est dans les deux cas une expérience de l’enfance. Dans ce cas de paranoïa aussi, toute compulsion provient du refoulement ; les symptômes de la paranoïa admettent une classification semblable à celle qui s’est révélée justifiée pour la névrose obsessionnelle. Ici aussi, une partie des symptômes naît de la défense primaire : toutes les idées délirantes de méfiance, de suspicion, de persécution par les autres. Dans la névrose obsessionnelle, le reproche initial a été refoulé par formation du symptôme primaire de défense : la méfiance à l’égard de soi-même. De ce fait, le reproche est reconnu comme justifié ; en compensation, l’importance acquise, pendant l’intervalle sain, par la scrupulosité protège le sujet d’avoir à accorder sa croyance au reproche qui fait retour sous forme de représentations obsédantes. Dans la paranoïa, le reproche est refoulé sur une voie qu’on peut désigner comme projection, et le symptôme de défense qui est érigé est celui de la méfiance à l’égard des autres ; la reconnaissance est ainsi refusée au reproche, et, comme par représailles, il n’existe aucune protection contre les reproches qui font retour dans les idées délirantes.

https://www.biusante.parisdescartes.fr/normastim/biblio/cherici_20150213_01.pdf

Sigmund Freud, “Nouvelles remarques sur les psychonévroses de défense” in Névrose, Psychose et Perversion, PUF, Paris, p. 80

P.

Projecting inner persecution by Salomon Resnik

He thought that she was blaming herself for being a ‘bad’ woman, which shows how the early Freud had an intuition abo the existence of something he was much later to call the persecutory super ego. Freud seems to suggest that the patient was avoiding an upsetting inner judgement by ejecting it into the outer world (Verwerfung) – that is, she was projecting her upsetting ‘concrete’ inner persecution. Freud uses the expression projecting its substance.

Il pensait qu’elle se reprochait d’être une “mauvaise” femme, où l’on voit que le premier Freud avait déjà une intuition de l’existence de quelque chose qu’il appellera plus tard le surmoi persécuteur. Freud semble suggérer que la patiente évitait un jugement intérieur dérangeant en l’éjectant dans le monde extérieur (Verwerfung) – c’est-à-dire qu’elle projetait sa persécution intérieure “concrète” dérangeante. Freud utilise l’expression “projeter sa substance”.

Salomon Resnik, “Being in a persecutory world” in Even paranoids have enemies : new perspectives on paranoia and persecution, Routledge, London, 1998, p. 22

P.

Persecutory delusion by DSM 5

Delusions are fixed beliefs that are not amenable to change in light of conflicting evidence. Their content may include a variety of themes (e.g., persecutory, referential, somatic, religious, grandiose). Persecutory delusions (i.e., belief that one is going to be harmed, harassed, and so forth by an individual, organization, or other group) are most common. Referential delusions (i.e., belief that certain gestures, comments, environmental cues, and so forth are
directed at oneself) are also common.

DSM-5, American psychiatric association cop., Washington, 2013, p.87

Les idées délirantes sont des croyances figées qui ne changent pas face à des évidences qui les contredisent. Leur contenu peut comprendre divers thèmes (p. ex. thème de persécution, thème de référence, thème somatique, thème religieux, thème mégalomaniaque). Les idées délirantes de persécution (c.-à-d. la croyance que l’on peut être agressé, harcelé, etc. par un individu, une organisation ou d’autres groupes) sont les plus fréquentes. Les idées délirantes de référence (c.-à-d. la croyance que certains gestes, commentaires ou éléments de l’environnement, etc. sont destinés spécifiquement à la personne) sont aussi assez fréquentes.

DSM-5 : manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux / American psychiatric association ; Marc-Antoine Crocq et Julien Daniel Guelfi ; p.103

American Psychiatric Association, Diagnostic and statistical manual of mental disorders : DSM-5, Washington, 2013, p. 87

A.

A compromise between illness and health by Sigmund Freud

133

Vienna, 16. 4. 1900. IX. Berggasse 19.

Dr. Sigm. Freud,
Lecturer in Nervous Diseases in the University.


My dear Wilhelm,

Herewith greetings, as arranged, from the land of sunshine.
Once more I have failed to get there….

E. at last concluded his career as a patient by coming to supper in my house. His riddle is almost completely solved, he feels extremely well, and his nature is entirely changed; for the moment a residue of symptoms remains. I am beginning to see that the apparent endlessness of the treatment is something of an inherent feature and is connected with the transference.*

I am hoping

that this residue will not detract from the practical success. I could have continued the treatment if I had wanted to, but it dawned on me that such prolongation is a compromise between illness and health which patients themselves desire, and that the physician must therefore not lend himself to it. I am not in the least worried by the asymptotic conclusion of the treatment; it is more a disappointment to outsiders than any thing else. In any case. I shall keep my eye on the man. As he had to participate in all my technical and theoretical mistakes, I think that another similar case would take only half the time.
May the Lord send it soon…. At the moment I feel some stirrings towards synthesis, I am holding them down.

Otherwise Vienna is Vienna, that is to say extremely revolting. If I closed with “Next Easter in Rome”, I should feel like a pious Jew.**

So until we meet in the summer or autumn, in Berlin or where you will,
Cordial greetings,

Your Sigm.


Mon cher Wilhelm,

Je te salue, comme prévu, du pays du soleil.
Une fois de plus, je n’ai pas réussi à m’y rendre. ….

E. a enfin terminé sa carrière de malade en venant souper chez moi. Son énigme est presque entièrement résolue, il se sent extrêmement bien, et sa nature est entièrement changée ; pour le moment, il reste un résidu de symptômes. Je commence à voir que l’apparente infinité du traitement est une caractéristique inhérente et qu’elle est liée au transfert.*

J’espère

que ce résidu ne nuira pas au succès pratique. J’aurais pu continuer le traitement si je l’avais voulu, mais je me suis rendu compte qu’une telle prolongation est un compromis entre la maladie et la santé que les patients eux-mêmes désirent, et que le médecin ne doit donc pas s’y prêter. La conclusion asymptotique du traitement ne m’inquiète pas le moins du monde ; c’est plus une déception pour les étrangers que toute autre chose. En tout cas. Je garderai un œil sur l’homme. Comme il a dû participer à toutes mes erreurs techniques et théoriques, je pense qu’un autre cas similaire ne prendrait que la moitié du temps.
Que le Seigneur l’envoie bientôt…. En ce moment, je ressens quelques élans vers la synthèse, je les retiens.

Sinon, Vienne est Vienne, c’est-à-dire extrêmement révoltante. Si je terminais par “Pâques prochain à Rome”, je me sentirais comme un juif pieux.

Donc, jusqu’à ce que nous nous rencontrions en été ou en automne, à Berlin ou où vous voulez,


* This is the first insight into the role of transference in psycho-analytic therapy. Freud had been familiar with the difficulties arising from transference pheno mena ever since the days when he still practised hypnotic therapy (see An Auto biographical Study, 1925 d). We know from the Fragment of an Analysis of a Case of Hysteria (1905 e), which gives us information about Freud’s technique during the period when this letter was written, that he had not yet learned technically how to overcome the transference. Freud for the first time developed the theory of the transference in the postscript to that paper. The lack of a complete under standing of the dynamics of the transference accounts for the personal contacts with several of his patients which Freud was having at about this time.

** [At the end of the Passover service orthodox Jews wish each other: “Next year in Jerusalem!”]


Letter from Sigmund Freud to Wilhelm Fliess of the 16th april 1900.

Sigmund Freud, Marie Bonaparte, The Origins of Psychoanalysis: Letters to Wilhelm Fliess, Drafts and Notes, 1887-1902, Basic Books, New-York, 1954

Sigmund Freud, La naissance de la psychanalyse, PUF, Paris, 2009

N.

Not subject to the same logical rules by Octave Mannoni

Dalton, Rutherford, and others, who developed the atoms’s theory, knew very well that they had Democritus and Lucretia as predecessors, but also that they owed them very little. Copernicus refuted Ptolemy, but he owed him a relatively valid knowledge of the appearances of the sky. But a sense of gratitude would have hindered his work. Today’s researchers treat their predecessors with little regard insofar as their ambition is to correct them, because science does not advance otherwise: any legitimate refutation is decisive, any universally accepted law retains the status of a hypothesis that has not yet been refuted. In a sense, psychoanalysis too is subject to this kind of evolution.
But there is a difference. It is not subject to the same logical rules, and epistemologists deny it the title of science because it does not succeed in exposing itself methodically to the possibilities of rigorous refutation. One can imagine that analytical “theory” will be formalized enough so that it can one day be exposed to the denial of observation.
It has already happened to Freud that a singular observation (for example, as we shall see, that of the “little” Hans who became great) forced him to overturn his theoretical conceptions. But these changes are not of the same nature as in other forms of knowledge, because the essential preoccupation of a psychoanalyst is not his relation to a theory of the unconscious, but, above all, his relation to the unconscious – and to his own one first. This is naturally much more difficult to state in epistemological terms. It is probably the same in the sciences – except that the unconscious, apart by a hidden way, is what leads the search, but is not, of this search, the object.”

“Dalton, Rutherford, et d’autres, qui ont élaboré la théorie de l’atome, savaient très bien qu’ils avaient Démocrite et Lucrèce comme prédécesseurs, mais aussi qu’ils leur devaient bien peu de chose. Copernic réfutait Ptolémée, il lui devait cependant une connaissance relativement valable des apparences du ciel. Mais un sentiment de reconnaissance aurait gêné son travail. Les chercheurs d’aujourd’hui traitent leurs prédécesseurs avec peu d’égards dans la mesure où leur ambition est de les corriger, car la science n’avance pas autrement : toute réfutation légitime est décisive, toute loi universellement admise garde un statut d’hypothèse non encore réfutée. En un sens, la psychanalyse aussi est soumise à ce genre d’évolution.
Mais il y a une différence. Elle n’est pas astreinte aux mêmes règles logiques, et les épistémologues lui refusent le titre de science parce qu’elle ne réussit pas à s’exposer méthodiquement aux possibilités de réfutation rigoureuse. On peut imaginer qu’on formalisera assez la « théorie » analytique pour qu’elle puisse un jour être exposée au démenti de l’observation.
C’est déjà arrivé à Freud qu’une observation singulière (par exemple, comme on verra, celle du « petit » Hans devenu grand) l’ait obligé à bouleverser ses conceptions théoriques. Mais ces changements ne sont pas de la même nature que dans les autres savoirs, parce que la préoccupation essentielle d’un psychanalyste n’est pas son rapport à une théorie de l’inconscient, mais, avant tout, son rapport à l’inconscient – et au sien d’abord. Cela est naturellement beaucoup plus difficile à énoncer en termes épistémologiques. Il en va sans doute de même dans les sciences – sauf que l’inconscient, s’il est de façon cachée ce qui mène la recherche, n’est pas, de cette recherche, l’objet.

Octave Mannoni, Ça n’empêche pas d’exister, Editions du Seuil, Paris, 1982, p. 7-8

F.

From a terminable into an interminable task by Sigmund Freud

Unfortunately something else happens as well. In trying to describe this, one can only rely on impressions. Hostility on the one side and partisanship on the other create an atmosphere which is not favourable to objective investigation. It seems that a number of analysts learn to make use of defensive mechanisms which allow them to divert the implications and demands of analysis from themselves (probably by directing them on to other people), so that they themselves remain as they are and are able to withdraw from the critical and corrective influence of analysis. Such an event may justify the words of the writer who warns us that when a man is endowed with power it is hard for him not to misuse it*. Sometimes, when we try to understand this, we are driven into drawing a disagreeable analogy with the effect of X-rays on people who handle them without taking special precautions. It would not be surprising if the effect of a constant preoccupation with all the repressed material which struggles for freedom in the human mind were to stir up in the analyst as well all the instinctual demands which he is otherwise able to keep under suppression. These, too, are ‘dangers of analysis’, though they threaten, not the passive but the active partner in the analytic situation; and we ought not to neglect to meet them. There can be no doubt how this is to be done. Every analyst should periodically – at in tervals of five years or so – submit himself to analysis once more, without feeling ashamed of taking this step. This would mean, then, that not only the therapeutic analysis of patients but his own analysis would change from a terminable into an interminable task.

Sigmund Freud, “Analysis Terminable and Interminable” (1937), Standard Edition Vol XXIII, Trans. James Strachey, The Hogarth Press, London, 1964, pp. 249

Il semble ainsi que bon nombre d’analystes apprennent à utiliser des mécanismes de défense qui leur permettent de détourner de leur propre personne des conséquences et exigences de l’analyse, probablement en les dirigeant sur d’autres, si bien qu’ils restent eux-mêmes comme ils sont, et peuvent se soustraire à influence critique et correctrice de l’analyse. Il se peut que ce processus donne raison à l’écrivain lorsqu’il nous rappelle qu’à l’homme à qui échoit la puissance il est bien difficile de ne pas en mésuser*. De temps à autre s’impose, à qui s’efforce de comprendre, l’analogie déplaisante avec l’effet des rayons X, lorsqu’on les manie sans précautions particulières. Il n’y aurait pas lieu de s’étonner si, chez l’analyste lui-même, du fait qu’il s’occupe sans cesse de tout le refoulé qui, dans l’âme humaine, lutte pour sa libération, toutes ces revendications pulsionnelles qu’il peut habituellement maintenir dans l’état de répression soient arrachées à leur sommeil. Ce sont là aussi des « dangers de l’analyse » qui, j à vrai dire, ne menacent pas le partenaire passif, mais le partenaire actif de la situation analytique, et l’on ne devrait pas négliger d’y faire face, De quelle manière, cela ne fait aucun doute. Chaque analyste devrait périodiquement, par exemple tous les cinq ans, se constituer nouveau l’objet de l’analyse, sans avoir honte de cette démarche. Cela signifierait donc que l’analyse personnelle, elle aussi, et pas seulement l’analyse thérapeutique pratiquée sur le malade, deviendrait, de tâche finie, une tâche infinie.

Sigmund FreudL’analyse finie et l’analyse infinie (1937), PUF, Paris, 2021, pp. 39

Sigmund FreudL’analyse finie et l’analyse infinie (1937), PUF, Paris, 2021, pp. 39

* Anatole France, La Révolte des Anges (1914), Payot Rivages, Paris, 2010

C.

Conviction of the existence of the unconscious by Sigmund Freud

But where and how is the poor wretch to acquire the ideal qualifications which he will need in his profession? The answer is, in an analysis of himself, with which his preparation for his future activity begins. For practical reasons this analysis can only be short and incomplete. Its main object is to enable his teacher to make a judgement as to whether the candidate can be accepted for further training. It has accomplished its purpose if it gives the learner a firm conviction of the existence of the unconscious, if it enables him, when repressed material emerges, to perceive in himself things which would otherwise be incredible to him, and if it shows him a first sample of the technique which has proved to be the only effective one in analytic work. This alone would not suffice for his instruction; but we reckon on the stimuli that he has received in his own analysis not ceasing when it ends and on the processes of remodelling the ego con tinuing spontaneously in the analysed subject and making use of all subsequent experiences in this newly-acquired sense. This does in fact happen, and in so far as it happens it makes the analysed subject qualified to be an analyst himself.

Sigmund Freud, “Analysis Terminable and Interminable” (1937), Standard Edition Vol XXIII, Trans. James Strachey, The Hogarth Press, London, 1964, pp. 248-249

Mais où et comment le pauvre malheureux doit-il acquérir cette aptitude idéale dont il aura besoin dans ce métier ? La réponse sera: dans l’analyse personnelle, par laquelle commence sa préparation à sa future activité. Pour des raisons pratiques, celle-ci ne peut être que brève et incomplète; son but majeur est de donner au maître la possibilité de juger si le candidat peut être admis à poursuivre sa formation. Sa tâche est accomplie si elle apporte à l’apprenti la ferme conviction de l’existence de l’inconscient, si elle lui procure lors de l’émergence du refoulé les perceptions de soi sans cela non crédibles et si, sur un premier échantillon, elle lui indique la technique qui est la seule à avoir fait ses preuves dans l’activité analytique. Cela seul ne suffirait pas à son instruction, mais on escompte que les incitations contenues dans l’analyse personnelle ne prendront pas fin avec l’arrêt de celle-ci, que les procès de remaniement du moi se poursuivront spontanément chez l’analysé et qu’ils utiliseront toutes les expériences à venir dans le sens nouvellement acquis. C’est en effet ce qui se produit et, dans la mesure où cela produit, cela rend l’analysé apte à être analyste.

Sigmund FreudL’analyse finie et l’analyse infinie (1937), PUF, Paris, 2021, pp. 38-39

Sigmund FreudL’analyse finie et l’analyse infinie (1937), PUF, Paris, 2021, pp. 38-39

A.

Analytic relationship is based on a love of truth by Sigmund Freud

It cannot be disputed that analysts in their own personalities have not invariably come up to the standard of psychical normality to which they wish to educate their patients. Opponents of analysis often point to this fact with scorn and use it as an argument to show the uselessness of analytic exertions. We might reject this criticism as making unjustifiable demands. Analysts are people who have learned to practise a particular art; alongside of this, they may be allowed to be human beings like anyone else. After all, nobody maintains that a physician is incapable of treating internal diseases if his own internal organs are not sound; on the contrary, it may be argued that there are certain advantages in a man who is himself threatened with tuberculosis specializing in the treatment of persons suf fering from that disease. But the cases are not on all fours. So long as he is capable of practising at all, a doctor suffering from disease of the lungs or heart is not handicapped either in diagnosing or treating internal complaints; whereas the special conditions of analytic work do actually cause the analyst’s own defects to interfere with his making a correct assessment of the state of things in his patient and reacting to them in a useful way. It is therefore reasonable to expect of an analyst, as a part of his qualifications, a considerable degree of mental normality and correctness. In addition, he must possess some kind of superiority, so that in certain analytic situations he can act as a model for his patient and in others as a teacher. And finally we must not forget that the analytic relationship is based on a love of truth – that is, on a recognition of reality – and that it precludes any kind of sham or deceit.

Sigmund Freud, “Analysis Terminable and Interminable” (1937), Standard Edition Vol XXIII, Trans. James Strachey, The Hogarth Press, London, 1964, pp. 247-248

Il est incontestable que les analystes n’ont pas complètement atteint, dans leur personnalité, le degré de normalité psychique auquel ils veulent éduquer leurs patients. Des adversaires de l’analyse ont coutume de relever cet état de fait en ricanant et d’en tirer argument pour conclure à l’inutilité des efforts analytiques. On pourrait rejeter cette critique comme une exigence injustifiée. Les analystes sont des personnes qui ont appris à exercer un art défini et ont par ailleurs le droit d’être des hommes tout comme d’autres. On n’a pourtant pas coutume d’affirmer que quelqu’un n’est pas bon à faire un médecin des maladies internes si ses organes internes ne sont pas sains; on peut au contraire trouver certains avantages à ce que quelqu’un, menacé lui-même de tuberculose, se spécialise dans le traitement des tuberculeux. Mais les cas ne se recouvrent pas. Le médecin malade des poumons ou du cœur, dans toute la mesure où il est resté apte à remplir sa fonction, n’est handicapé par son état de malade ni dans le diagnostique ni dans la thérapie des maux internes, alors que l’analyste, par suite des conditions particulières du travail analytique, est vraiment perturbé par ses propres déficiences quand il s’agit d’appréhender exactement la situation du patient et d’y réagir de manière appropriée. C’est donc à bon escient qu’on exigera de l’analyste, comme étant une part de ce qui atteste sa qualification, un assez haut degré de normalité et de rectitude animiques; à cela s’ajoute qu’il a, en outre, besoin d’une certaine supériorité pour agir sur le patient comme modèle dans certaines situations analytiques, comme maître dans d’autres. Et, enfin, il ne faut pas oublier que la relation analytique est fondée sur l’amour de la vérité, c-a-d. sur la reconnaissance de la réalité, et qu’elle exclut tout semblant et tout leurre.

Sigmund FreudL’analyse finie et l’analyse infinie (1937), PUF, Paris, 2021, pp. 37-38

Sigmund FreudL’analyse finie et l’analyse infinie (1937), PUF, Paris, 2021, pp. 37-38

P.

Positive correlations by Collazzoni, Larøi, Laloyaux

Correlational analyses (Table 2) demonstrated significant and positive correlations between the PDI-P and the RFQ, the CHS, and the FHS. The RFQ was found to be significantly and positively correlated with the CHS and the FHS. Finally, the CHS was significantly and positively correlated with the FHS. The results of the hierarchical multiple regression analysis are reported in Table 3. First, step 1 revealed that the RFQ was a significant predictor of persecutory ideation proneness (β = 0.23), explaining 5% of the PDI-P variance. Step 2 revealed that the RFQ and CHS together explained 8% of the persecutory ideation proneness variance. In particular, the CHS explained 3% of the PDI-P (β = 0.20). Step 3 revealed that the FHS was not a significant predictor of PDI-P (β = 0.08).

Humilitation - Persecution - Collazzoni - Laloyaux - Larøi - Table 2

Humilitation - Persecution - Collazzoni - Laloyaux - Larøi - Table 3

Les analyses corrélatives (tableau 2) ont démontré des corrélations significatives et positives entre le PDI-P et le RFQ, le CHS et le FHS. La RFQ est significativement et positivement corrélée avec la CHS et la FHS. Enfin, le CHS est significativement et positivement corrélé avec le FHS. Les résultats de l’analyse hiérarchique de régression multiple sont présentés dans le tableau 3. Tout d’abord, l’étape 1 a révélé que le RFQ était un prédicteur significatif de la propension aux idées persécutrices (β = 0,23), expliquant 5 % de la variance du PDI-P. L’étape 2 a révélé que la RFQ et le CHS expliquaient ensemble 8 % de la variance de la propension aux idées persécutrices. En particulier, le CHS a expliqué 3 % de la variance du PDI-P (β = 0,20). L’étape 3 a révélé que le FHS n’était pas un prédicteur significatif de la PDI-P (β = 0,08).

Alberto Collazzoni, Julien Laloyaux, Frank Larøi, “Examination of humiliation and past maladaptive family context in persecutory ideation: An exploratory study” in Comprehensive Psychiatry – Volume 78, 2017, Pages 19-24,
ISSN 0010-440X,
https://doi.org/10.1016/j.comppsych.2017.06.015.
https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0010440X16306575

PDI-P : Peters et al. Delusions Inventory-Persecution

RFQ : Risky Family Questionnaire

CHS : Cumulative Humiliation Subscale

FHS : Fear of Humiliation Subscale

H.

Humiliation and persecutory ideation by Collazzoni, Larøi, Laloyaux

The present study suggests that past interpersonal humiliation events and a maladaptive family context play a role in the development of persecutory ideation. It may be important to implement early interventions in high-risk families, among other matters, in order to prevent the development of persecutory ideation, and it may prove helpful to implement psychotherapeutic interventions aiming to counteract the effects of potentially past traumatic events in patients’ life (e.g., imagery with rescripting techniques) in order to reduce persecutory ideation.

La présente étude suggère que les événements d’humiliation interpersonnelle passés, et un contexte familial inadapté, jouent un rôle dans le développement de l’idéation persécutrice. Il peut être important de mettre en œuvre des interventions précoces dans les familles à haut risque, entre autres, afin de prévenir le développement de l’idéation persécutrice, et il peut s’avérer utile de mettre en œuvre des interventions psychothérapeutiques visant à contrecarrer les effets des événements potentiellement traumatiques passés dans la vie des patients (par exemple, l’imagerie avec des techniques de rescripting) afin de réduire l’idéation persécutrice.

Alberto Collazzoni, Julien Laloyaux, Frank Larøi, “Examination of humiliation and past maladaptive family context in persecutory ideation: An exploratory study” in Comprehensive PsychiatryVolume 78, 2017, Pages 19-24,
ISSN 0010-440X,
https://doi.org/10.1016/j.comppsych.2017.06.015.
https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0010440X16306575