H.

Hath not a Jew eyes ? by William Shakespeare

ACT 3. SC 1 – SHYLOCK
To bait fish withal: if it will feed nothing else,
it will feed my revenge. He hath disgraced me, and
hindered me half a million; laughed at my losses,
mocked at my gains, scorned my nation, thwarted my
bargains, cooled my friends, heated mine
enemies; and what’s his reason? I am a Jew. Hath
not a Jew eyes?
hath not a Jew hands, organs,
dimensions, senses, affections, passions? fed with
the same food, hurt with the same weapons, subject
to the same diseases, healed by the same means,
warmed and cooled by the same winter and summer, as
a Christian is? If you prick us, do we not bleed?
if you tickle us, do we not laugh? if you poison
us, do we not die? and if you wrong us, shall we not
revenge? If we are like you in the rest, we will
resemble you in that. If a Jew wrong a Christian,
what is his humility? Revenge. If a Christian
wrong a Jew, what should his sufferance be by
Christian example? Why, revenge. The villany you
teach me, I will execute, and it shall go hard but I
will better the instruction.

William ShakespeareMerchant of Venice, Folger Shakespeare Library, London, p.97-98
Shylock - Main character from Merchant of Venice of William Shakespear
Charles Macklin at Covent Garden, 1767-68 (England)

Acte III – Scène 1 – SHYLOCK
A appâter les poissons. Faute de mieux, elle servira à nourrir ma vengeance. Il m’a humilié, et m’a fait perdre un demi-million; il s’est gaussé de mes pertes, s’est moqué de mes gains, il a méprisé ma nation, gêné mes affaires, refroidi mes amis, échauffé mes ennemis. Et tout cela pourquoi ? Je suis juif. Est-ce qu’un Juif n’a pas d’yeux ? Est-ce qu’un Juif n’a pas des mains, des organes, des mensurations, des sens, des affections, des passions? des mêmes armes, Est-ce qu’il ne se nourrit pas avec la même nourri ture, est-ce qu’il ne souffre pas est-ce qu’il n’est pas soumis aux mêmes maladies, guéri par les mêmes moyens, réchauffé et refroidi par le même hiver et le même été, comme un Chrétien peut l’être ? Si vous nous piquez, est-ce qu’on ne saigne pas ? Si vous nous chatouillez, est-ce qu’on ne rit pas ? Si vous nous empoisonnez, est-ce qu’on ne meurt pas ? Et, si vous nous faites du mal, est-ce qu’on ne va pas se venger? Si nous sommes comme vous pour tout le reste, nous vous ressemblons aussi en cela. Si un Juif fait du tort à un Chrétien, à quelle charité a-t-il droit? A une vengeance. Si un Chrétien fait du tort à un Juif, quelle disposition lui inspire l’exemple du Chrétien ? Eh bien, la vengeance. La méchanceté que vous m’apprenez, je la mettrai en pratique, et vous pouvez compter sur moi pour que je la perfectionne.

William ShakespearLe Marchand de Venise, Le Livre de Poche, Paris, 2021, p. 100
T.

This gaze transforms humility into humiliation by Michel Zink

It is this gaze that transforms humility into humiliation. Where can we find the trace of a gaze? In a treatise, in a philosophical, theological or moral statement? No, but in another gaze capable of capturing this gaze and making it visible: in literature. The story says about humiliation what no other discourse can say about it. Like humiliation, it creates a reality made of signs. Like humiliation, it presupposes an external gaze, that of its reader. It takes place under this gaze, and everything in humiliation is a matter of gaze, whereas, conversely, one of the paradoxes of humility is that it exists only in hiding, that it cannot assert itself. The reader’s gaze is not only external to the humiliated, but also external to the humiliator. It keeps both at a distance. The story of humiliation draws attention to the will to humiliate and to the pleasure taken in humiliating – the vertigo of existing, the enjoyment of being above, sharpened by the terror of being below. Better than any analysis, a narrative can bring out these stages, these reversals, these fears, this seesaw of humiliation and cruelty.

C’est ce regard qui transforme l’humilité en humiliation. Où trouver la trace d’un regard ? Dans un traité, dans un exposé philosophique, théologique ou moral ? Non, mais dans un autre regard capable de saisir ce regard et de le donner à voir : dans la littérature. Le récit dit de l’humiliation ce qu’aucun autre discours ne peut en dire. Comme l’humiliation, il crée une réalité faite de signes. Comme l’humiliation, il suppose un regard extérieur, celui de son lecteur. Il se déroule sous ce regard, et tout dans l’humiliation est affaire de regard, tandis qu’à l’inverse un des paradoxes de l’humilité est de n’exister que dissimulée, de ne pouvoir s’affirmer. Le regard du lecteur n’est pas seulement extérieur à l’humilié, mais aussi extérieur à celui qui humilie. Il tient à distance l’un et l’autre. Le récit de l’humiliation attire l’attention sur la volonté d’humilier et sur le plaisir pris à humilier – vertige d’exister, jouissance d’être au-dessus, aiguisée par la terreur d’être au-dessous. Mieux que toute analyse, un récit peut faire ressortir ces étapes, ces retournements, ces craintes, ce jeu de bascule de l’humiliation et de la cruauté.

Michel ZinkL’Humiliation, le Moyen Âge et nous, Albin Michel, Paris, 2017, p. 84

H.

Humiliation of the cross proclaimed his glory by Michel Zink

Just as God’s abasement in the incarnation led to a celebration of his humility, not to a questioning of his omnipotence, so the humiliation of the cross proclaimed his glory. The paradox of the glorious cross became so obvious that it ceased to be paradoxical. We speak of “Christ triumphant” to designate certain representations of Christ on the cross : the crucified one wears a royal crown and not the crown of thorns.

De même que l’abaissement de Dieu dans l’incarnation conduisait à célébrer son humilité, non à mettre en doute sa toute-puissance, de même l’humiliation de la croix proclamait sa gloire. Le paradoxe de la croix glorieuse devenait si évident qu’il cessait d’être paradoxal. On parle de « Christ triomphant» pour désigner certaines représentations du Christ en croix : le crucifié y porte une couronne royale et non la couronne d’épines.

Michel ZinkL’Humiliation, le Moyen Âge et nous, Albin Michel, Paris, 2017, p. 46 – 47