It is this gaze that transforms humility into humiliation. Where can we find the trace of a gaze? In a treatise, in a philosophical, theological or moral statement? No, but in another gaze capable of capturing this gaze and making it visible: in literature. The story says about humiliation what no other discourse can say about it. Like humiliation, it creates a reality made of signs. Like humiliation, it presupposes an external gaze, that of its reader. It takes place under this gaze, and everything in humiliation is a matter of gaze, whereas, conversely, one of the paradoxes of humility is that it exists only in hiding, that it cannot assert itself. The reader’s gaze is not only external to the humiliated, but also external to the humiliator. It keeps both at a distance. The story of humiliation draws attention to the will to humiliate and to the pleasure taken in humiliating – the vertigo of existing, the enjoyment of being above, sharpened by the terror of being below. Better than any analysis, a narrative can bring out these stages, these reversals, these fears, this seesaw of humiliation and cruelty.
C’est ce regard qui transforme l’humilité en humiliation. Où trouver la trace d’un regard ? Dans un traité, dans un exposé philosophique, théologique ou moral ? Non, mais dans un autre regard capable de saisir ce regard et de le donner à voir : dans la littérature. Le récit dit de l’humiliation ce qu’aucun autre discours ne peut en dire. Comme l’humiliation, il crée une réalité faite de signes. Comme l’humiliation, il suppose un regard extérieur, celui de son lecteur. Il se déroule sous ce regard, et tout dans l’humiliation est affaire de regard, tandis qu’à l’inverse un des paradoxes de l’humilité est de n’exister que dissimulée, de ne pouvoir s’affirmer. Le regard du lecteur n’est pas seulement extérieur à l’humilié, mais aussi extérieur à celui qui humilie. Il tient à distance l’un et l’autre. Le récit de l’humiliation attire l’attention sur la volonté d’humilier et sur le plaisir pris à humilier – vertige d’exister, jouissance d’être au-dessus, aiguisée par la terreur d’être au-dessous. Mieux que toute analyse, un récit peut faire ressortir ces étapes, ces retournements, ces craintes, ce jeu de bascule de l’humiliation et de la cruauté.
Michel Zink, L’Humiliation, le Moyen Âge et nous, Albin Michel, Paris, 2017, p. 84