N.

Not subject to the same logical rules by Octave Mannoni

Dalton, Rutherford, and others, who developed the atoms’s theory, knew very well that they had Democritus and Lucretia as predecessors, but also that they owed them very little. Copernicus refuted Ptolemy, but he owed him a relatively valid knowledge of the appearances of the sky. But a sense of gratitude would have hindered his work. Today’s researchers treat their predecessors with little regard insofar as their ambition is to correct them, because science does not advance otherwise: any legitimate refutation is decisive, any universally accepted law retains the status of a hypothesis that has not yet been refuted. In a sense, psychoanalysis too is subject to this kind of evolution.
But there is a difference. It is not subject to the same logical rules, and epistemologists deny it the title of science because it does not succeed in exposing itself methodically to the possibilities of rigorous refutation. One can imagine that analytical “theory” will be formalized enough so that it can one day be exposed to the denial of observation.
It has already happened to Freud that a singular observation (for example, as we shall see, that of the “little” Hans who became great) forced him to overturn his theoretical conceptions. But these changes are not of the same nature as in other forms of knowledge, because the essential preoccupation of a psychoanalyst is not his relation to a theory of the unconscious, but, above all, his relation to the unconscious – and to his own one first. This is naturally much more difficult to state in epistemological terms. It is probably the same in the sciences – except that the unconscious, apart by a hidden way, is what leads the search, but is not, of this search, the object.”

“Dalton, Rutherford, et d’autres, qui ont élaboré la théorie de l’atome, savaient très bien qu’ils avaient Démocrite et Lucrèce comme prédécesseurs, mais aussi qu’ils leur devaient bien peu de chose. Copernic réfutait Ptolémée, il lui devait cependant une connaissance relativement valable des apparences du ciel. Mais un sentiment de reconnaissance aurait gêné son travail. Les chercheurs d’aujourd’hui traitent leurs prédécesseurs avec peu d’égards dans la mesure où leur ambition est de les corriger, car la science n’avance pas autrement : toute réfutation légitime est décisive, toute loi universellement admise garde un statut d’hypothèse non encore réfutée. En un sens, la psychanalyse aussi est soumise à ce genre d’évolution.
Mais il y a une différence. Elle n’est pas astreinte aux mêmes règles logiques, et les épistémologues lui refusent le titre de science parce qu’elle ne réussit pas à s’exposer méthodiquement aux possibilités de réfutation rigoureuse. On peut imaginer qu’on formalisera assez la « théorie » analytique pour qu’elle puisse un jour être exposée au démenti de l’observation.
C’est déjà arrivé à Freud qu’une observation singulière (par exemple, comme on verra, celle du « petit » Hans devenu grand) l’ait obligé à bouleverser ses conceptions théoriques. Mais ces changements ne sont pas de la même nature que dans les autres savoirs, parce que la préoccupation essentielle d’un psychanalyste n’est pas son rapport à une théorie de l’inconscient, mais, avant tout, son rapport à l’inconscient – et au sien d’abord. Cela est naturellement beaucoup plus difficile à énoncer en termes épistémologiques. Il en va sans doute de même dans les sciences – sauf que l’inconscient, s’il est de façon cachée ce qui mène la recherche, n’est pas, de cette recherche, l’objet.

Octave Mannoni, Ça n’empêche pas d’exister, Editions du Seuil, Paris, 1982, p. 7-8

E.

Ego-ideal governs the interplay of relations by Jacques Lacan

Now let us postulate that the inclination of the plane mirror is governed by the voice of the other. This doesn’t happen at the level of the mirror-stage, but it happens subsequently through our overall relation with others – the symbolic relation. From that point on, you can grasp the extent to which the regulation of the imaginary depends on something which is located in a transcendent fashion, as M. Hyppolite would put it – the transcendent on this occasion being nothing other than the symbolic connection between human beings. What is the symbolic connection? Dotting our i’s and crossing our t’s, it is the fact that socially we define ourselves with the law as go-between. It is through the exchange of symbols that we locate our different selves [mois] in relation to one another – you, you are Mannoni, and me Jacques Lacan, and we have a certain symbolic relation, which is complex, according to the different planes on which we are placed, according to whether we’re together in the police station, or together in this hall, or together travelling.
In other words, it’s the symbolic relation which defines the position of the subject as seeing. It is speech, the symbolic relation, which determines the greater or lesser degree of perfection, of completeness, of approximation, of the imaginary. This representation allows us to draw the distinction between the Idealich* and the Ichideal*, between the ideal ego and the ego-ideal. The ego-ideal governs the interplay of relations on which all relations with others depend. And on this relation to others depends the more or less satisfying character of the imaginary structuration.

Jacques Lacan, The Seminar of Jacques Lacan – Book I – Freud’s paper on Technique (1953-1954), Trans. John Forrester, Norton Paperback, New-York, 1991, p. 140 – 141
Ego-ideal governs the interplay of relations - Lacan - Seminaire I

Nous pouvons supposer maintenant que l’inclinaison du miroir plan est commandée par la voix de l’autre. Cela n’existe pas au niveau du stade du miroir, mais c’est ensuite réalisé par notre relation avec autrui dans son ensemble – la relation symbolique. Vous pouvez saisir dès lors que la régulation de l’imaginaire dépend de quelque chose qui est situé de façon transcendante, comme dirait M. Hyppolite – le transcendant dans l’occasion n’étant ici rien d’autre que la liaison symbolique entre les êtres humains.
Qu’est-ce que c’est que la liaison symbolique ? C’est, pour mettre les points sur les i, que socialement, nous nous définissons par l’intermédiaire de la loi. C’est de l’échange des symboles que nous situons les uns par rapport aux autres nos différents moi – vous êtes, vous, Mannoni, et moi, Jacques Lacan, et nous sommes dans un certain rapport symbolique, qui est complexe, selon les différents plans où nous nous plaçons, selon que nous sommes ensemble chez le commissaire de police, ensemble dans cette salle, ensemble en voyage.
En d’autres termes, c’est la relation symbolique qui définit la position du sujet comme voyant. C’est la parole, la fonction symbolique qui définit le plus ou moins grand degré de perfection, de complétude, d’approximation, de l’imaginaire. La distinction est faite dans cette représentation entre l’Ideal-Ich* et l’Ich-Ideal*, entre moi-idéal et idéal du moi. L’idéal du moi commande le jeu de relations d’où dépend toute la relation à autrui. Et de cette relation à autrui dépend le caractère plus ou moins satisfaisant de la structuration imaginaire.

Jacques Lacan, Le Séminaire – Livre I – Les écrits techniques de Freud (1953-1954), Le Seuil, 1998, p. 222 – 223

Jacques LacanLe Séminaire – Livre I – Les écrits techniques de Freud (1953-1954), Le Seuil, 1998, p. 222 – 223

* Ideal-ego and Ego-ideal in german in the text

C.

Case histories and counter-transference by Octave Mannoni

I am convinced our non-inclusion of the counter-transference in its authenticity made the “case histories” have lost all interest.

Je suis persuadé que c’est parce qu’on n’a pas su y faire figurer le contre-transfert dans son authenticité, que les « histoires de cas » ont perdu tout intérêt.

Octave Mannoni, « La Férule » in Ça n’empêche pas d’exister, 1982, Editions du Seuil, p. 69

W.

What shame could make him act ? by Octave Mannoni

Now, I may not have had an answer, but I at least had a question: what ancient shame could make the analysing act in a compulsive way much more spectacularly than Swann’s gestures, Sartre’s grimaces, or my reading aloud? But this question was not so new to me: had I not written, a long time ago, that King Lear became mad so as not to be fool ? And the same can be said of Ophelia, and of Beatrice in il Berretto a sonagli, of Pirandello (but she, to escape shame, simulates madness). The princeps case is Ajax: extravagances come before, but he does not escape shame when he “heals”…


Maintenant, je n’avais peut-être pas une réponse, mais j’avais du moins une question : quelle honte ancienne pouvait faire agir l’analysante d’une façon compulsionnelle beaucoup plus spectaculaire que les gestes de Swann, les grimaces de Sartre, ou ma lecture à haute voix ? Mais cette question n’était pas si nouvelle pour moi : n’avais-je pas écrit, il y a longtemps, que le Roi Lear devient mad pour ne pas être fool ? Et on peut en dire autant d’Ophélie, et de Béatrice dans il Berretto a sonagli, de Pirandello (mais elle, pour échapper à la honte, elle simule la folie). Le cas princeps, c’est Ajax: les extravagances viennent avant, mais il n’échappe quand même pas à la honte, quand il « guérit »…

MANNONI O.Ça n’empêche pas d’exister, Paris, Seuil, 1982, p. 76

T.

The rupture of an identification by Octave Mannoni

We thus have a Freudian theory of shame, although Freud never stated it: it is the rupture of an identification at the level of the ego. We could “analyze the analysis” of Uncle Joseph’s dream with this idea, to see ambition, identification, fear of ridicule at work …

Nous avons ainsi une théorie freudienne de la honte, bien que Freud ne l’ait jamais énoncée : c’est la rupture d’une identification au niveau du moi. On pourrait “analyser l’analyse” du rêve de l’oncle Joseph avec cette idée, pour y voir l’ambition, l’identification, la peur du ridicule fonctionner…

MANNONI O.Ça n’empêche pas d’exister, Paris, Seuil, 1982, p. 82

F.

Freud finally gives us the theory of shame by Octave Mannoni

If we use the indexes for one of these words, we are sure to find it, in the text, accompanied by the two others and in the passage from Massenpsychologie where Freud finally gives us the theory of shame, the word shame is not pronounced. Of course, it appears in the Traumdeutung, in the analysis of Uncle Josef’s dream, because it deals with ambition. Through the analysis of this dream, we understand why Freud does not stop at this question: for him the problem of shame was settled from early childhood: he opposed it to a reactionary formation, the kind which brings a definitive change in the unconscious in the superego, that is to say, exactly in character, and one can suspect that this indelible stigma implies a traumatic element that is overcome (as in fetishism, and with the same force).
We know the anecdote: when his parents wanted to shame him for having dirtied their bed, he responded by promising to buy them a brand new and more beautiful bed later. Faced with such an early and ambitious reaction, we feel like, in taking up one of his words addressed to little Hans, exclaiming: “Bravo, little Freud! » He settled the question of shame in a really precocious way, and at the same time taught us that ambition is the remedy. He later made a short-cut when he wrote, to everyone’s astonishment, that ambition was of urethral origin.
So, what made him simplify the question in this way is quite understandable.


Si l’on se sert des index pour un de ces mots, on est certain de le trouver, dans le texte, accompagné des deux autres et dans le passage de la Massenpsychologie Freud nous donne enfin la théorie de la honte, le mot honte n’est pas prononcé Bien entendu, il figure dans la Traumdeutung, dans l’analyse du rêve de l’oncle Josef, parce qu’il y est question d’ambition. Par l’analyse de ce rêve, nous comprenons pourquoi Freud ne s’arrête pas à cette question : pour lui le problème de la honte s’est trouvé réglé dès la petite enfance : il lui a opposé une formation réactionnelle du genre de celles qui apportent une modification définitive dans l’inconscient dans le sur-moi, c’est-à-dire exactement dans le caractère, et l’on peut soupçonner que ce stigma indélébile implique un élément traumatique surmonté (comme dans le cas du fétichisme, et avec la même force).
On connaît l’anecdote : quand ses parents voulaient lui faire honte d’avoir sali leur lit, il a répondu par la promesse de leur acheter plus tard un lit tout neuf et plus beau. Devant une réaction si précocement ambitieuse, on a envie, en reprenant une de ses paroles adressée au petit Hans, de s’écrier : « Bravo, petit Freud ! » Il a réglé la question de la honte d’une façon vraiment précoce, et nous a appris du même coup que l’ambition en est le remède. Il a fait plus tard un court-circuit quand il a écrit, en étonnant tout le monde, que l’ambition était d’origine urétrale.
Mais on comprend très bien ce qui lui a fait simplifier ainsi la question.

Octave MannoniÇa n’empêche pas d’exister, Paris, Seuil, 1982, p. 79

R.

Relation to his own unconscious by Octave Mannoni

The primary concern of a psychoanalyst is not his relation to an unconscious‘s theory, but, above all, his relation to the unconscious – and his own one first.

La préoccupation essentielle d’un psychanalyste n’est pas son rapport à une théorie de l’inconscient , mais, avant tout, son rapport à l’inconscient – et au sien d’abord.

Octave Mannoni, Ça n’empêche pas d’exister, Paris, Seuil, 1982, p. 8