T.

The grace of Shame by Frédéric Gros

Pope Francis has repeatedly returned in his homilies to what he calls “the grace of shame*”. A strange expression. For we like to see in shame many unjust sorrows, almost a psychic plague, a mental poison. So to make of it a grace, a divine gift, except to suppose a cruel God, that seems a little strong. The context of the expression sheds light on its meaning: confession, inner examination. The latter requires lucidity, sincerity, and above all a total absence of complacency. […]
To ask God for shame as a grace (Lord, let me be ashamed!) is to go even further. We can tell ourselves that we need strength to go all the way through our shame, and that this tormented journey, if it is uncompromising, will be purifying. The choice to face it is a decision of inner transformation. But if shame can appear as a grace, it is mainly because it is difficult to extirpate from oneself any form of complacency. We don’t feel the need to confess what we are not necessarily ashamed of because we have already dealt with our conscience by making excuses. This is where external help is needed, as one is only too willing to play down (“Well, it’s not that bad”). A properly divine, purifying shame allows me to find shame in what I could relegate to the peccadilloes and puts me on the path of a spiritual transformation.

Le pape François à plusieurs reprises est revenu, dans ses homélies, sur ce qu’il nomme « la grâce de la honte*». Drôle d’expression. Car on aime à voir dans la honte beaucoup de tristesses injustes, presque un fléau psychique, un poison mental. Alors en faire une grâce, un don divin, sauf à supposer un Dieu cruel, ça paraît un peu fort. Le contexte de l’expression en éclaire le sens : la confession, l’examen intérieur. Ce dernier requiert de la lucidité, de la sincérité, et surtout une absence totale de complaisance. […]
Demander à Dieu la honte comme une grâce (Seigneur, fais que j’aie honte!), c’est aller plus loin encore. On peut se dire déjà qu’on a besoin de forces pour aller jusqu’au bout de la honte, et que cette traversée tourmentée, si elle est sans concession, sera purificatrice. Le choix de l’affronter vaut pour décision de transformation intérieure. Mais si la honte peut apparaître comme une grâce, c’est surtout qu’il est ardu d’extirper de soi toute forme de complaisance. On ne ressent pas le besoin d’avouer ce dont on n’a pas forcément honte parce qu’on s’est déjà en fait arrangé avec sa conscience en se trouvant des excuses. C’est là qu’il faut une aide extérieure, comme on n’est que trop disposé à minorer ( « Bah non, ce n’est pas si grave »). Une honte proprement divine, purificatrice, permet de trouver honteux ce que je pouvais reléguer dans les peccadilles et qui me met sur le chemin d’une transformation spirituelle.

Frédéric GrosLa honte est un sentiment révolutionnaire, Albin Michel, Paris, 2021, p. 143-145
quoting *Pope Francis, Homélie du 9 mars 2020 et Méditation matinale du 26 février 2018 (Libreria Editrice Vaticana).

T.

The innocence’s opposite by Frédéric Gros

The opposite of innocence is not guilt, it is lucidity – here is the lesson of Genesis. And, one who is ashamed is lucid, he sees how injustices, iniquities are supported by the law, justice and the Church.

Le contraire de l’innocence, ce n’est pas la culpabilité, c’est la lucidité – c’était au fond déjà la leçon de la Genèse. Et celui qui a honte est lucide, il voit comment les injustices, les iniquités sont cautionnées par la loi, la justice et l’Église.

Frédéric Gros, La honte est un sentiment révolutionnaire, Albin Michel, Paris, 2021, p. 190

FN : Frederic Gros enter an ideological debate which tries to disqualifie guilt in order to valorise shame. We may precise that we’re not sure to agree to this sentences. For the moment, Ruwen Ogien work sounds more accurate.

S.

Shame as a psychoanalysis function by Frédéric Gros

This is how you were able to ashame me, ashamed of my academic discourse, ashamed of having let people think things were simple and of having proclaimed that obscurity was always the coward’s rhetoric. Shame to have received with pleasure this “compliment” from listeners: “thank you, thank you, it was wonderfully clear; we understood everything, listening to you makes us feel intelligent”. Is there nothing worse than to inspire this, I mean: if it is subversive and real, shouldn’t teaching make everyone feel stupid?


Shame. I come back with you to this affect, whose lapidary evocation frames the last lesson of your 1970 seminar – you know, the seminar of the four speeches, the ’68 assessment, the aftermath of the Vincennes student’s “meeting”, your political seminar. The sending of your last sentence, like a click of heels, stopped me for a long time: the idea that after all, if there is a function of psychoanalysis, it would be to make us ashamed – and I retain from this proposal enough to worry our time, which aims at the emancipation of shame at all costs, its enraged overcoming.


And certainly, one cannot but be caught in this first evidence, this first appreciation: shame, whether it is “moral” (I mean confused with guilt), social (shame of being poor) or post-traumatic (shame of having lived what I have lived, the persistent echo of the trauma in the existence) is a suffering that blocks the becomings, that encloses the subject in and on itself, that forces him to silently dwell on his uneasiness, that makes him falter, that disintegrates and empties. From this shame, one can only demand to be delivered, so much it condemns to silent sufferings, diminishes the existence, exacerbates the self-hatred, curls up the vital affirmation.


An immense part of the modern ethos has been played in the furious denunciation of shame. Already Spinoza defined it as that “sadness” which is born from seeing “one’s actions despised by another”. Nietzsche will see it as the human evil par excellence. So, the sequence of The Gay Science: “Who do you call evil? He who always wants to shame. – What is more human? To spare one’s neighbor shame. How do we recognize real freedom? By not being ashamed of oneself.” Or Zarathustra: “Shame, shame, shame – that is the history of man.”


C’est ainsi que vous avez pu me faire honte, honte à moi de mon discours universitaire, honte d’avoir laissé penser à ce point que les choses étaient simples et d’avoir proclamé que l’obscurité était toujours la rhétorique du lâche. Honte d’avoir reçu avec plaisir ce « compliment » d’auditeurs : « merci, merci, c’était merveilleusement clair; nous avons tout compris, à vous écouter on se sent intelligent ». N’y a-t-il rien de pire que d’inspirer cela, je veux dire : s’il est subversif et réel, l’enseignement ne doit-il pas faire sentir à chacun sa bêtise?

Honte. Je reviens avec vous sur cet affect, dont l’évocation lapidaire encadre la dernière leçon de votre séminaire de 1970 -vous savez bien, le séminaire des quatre discours, du bilan 68, de l’après « rencontre » des étudiants de Vincennes, votre séminaire politique. C’est l’envoi de votre dernière phrase, comme un claquement de talons, qui m’a longtemps arrêté : l’idée qu’après tout, s’il y a une fonction de la psychanalyse, ce serait celle de nous faire honte – et je retiens de cette proposition assez pour inquiéter notre époque, elle qui vise l’affranchissement à tout prix de la honte, son dépassement enragé.

Et certes, on ne peut qu’être pris dans cette première évidence, cette première appréciation: la honte, qu’elle soit « morale » (je veux dire confondue avec la culpabilité), sociale (honte d’être pauvre) ou post-traumatique (honte d’avoir vécu ce que j’ai vécu, le persistant écho du traumatisme dans l’existence) est une souffrance qui bloque les devenirs, qui renferme le sujet dans et sur lui-même, le contraint à ressasser silencieusement son mal-être, le fait vaciller, le délite et le vide. De cette honte, on ne peut qu’exiger d’être délivré, tant elle condamne à des souffrances silencieuses, diminue l’existence, exacerbe la haine de soi, recroqueville l’affirmation vitale.

Une immense partie de l’êthos moderne s’est jouée dans la dénonciation furieuse de la honte. Déjà Spinoza la définissait comme cette «tristesse » qui naît de voir « ses actions méprisées par un autre ». Nietzsche y verra le mal humain par excellence. Soit la séquence du Gai savoir: « Qui appelles-tu mauvais ? Celui qui toujours veut faire honte. – Qu’y a-t-il de plus humain? Épargner à son prochain la honte. À quoi reconnaît-on la liberté réelle ? Au fait de ne plus avoir honte de soi-même. » Ou encore Zarathoustra: «Honte, honte, honte – c’est là l’histoire de l’homme ».

Coll. réuni par Laurie Laufer, Frederic Gros, “J’écris par-delà toute communication raisonnablement envisageable” in Lettres à Lacan, Thierry Marchaisse Edition, Paris, 2018, p. 181-182