T.

The Epic Leap by Fethi Benslama

It is as if Ahmed had leapt into the narrative of an epic, becoming one of its characters, and this leap had led him to engage in a real battle. This is what I propose to call the epic leap. It is not a case of “passage à l’acte“, a notion often misused to fill gaps in meaning when faced with disconcerting behaviors. Restored to the clinical rigor conferred by psychoanalysis, acting out is a rupture, a sudden piercing of consciousness by the unexpected. It is an act that has no meaning for the subject performing it, as they are absent to themselves at the moment they are its agent. For Ahmed, as for many others I have encountered who have entered the fight, there is, on the contrary, an excess of meaning and a deliberate crossing over that draws its strength from the conjunction of narrative and action. The word ‘epic’ corresponds to this assembly or union embodied by the two Greek terms it comprises: epos, which denotes speech in its various manifestations (verbalization, saying, storytelling, narration, fable, myth, etc.), and poiein, which means action and its equivalents (the act, doing, production, realization, etc.). ‘Epic’ in Arabic (malhama) is in harmony; the word comes from a root meaning ‘to weld’ (l.h.m), which has given ‘flesh’ and ‘fierceness,’ as well as the epic poem or saga. The epic leap is for a subject the event by which a narrative becomes action, an action becomes narrative, aimed at a battle they believe to be legitimate. Whether driven by a desire for justice, revenge for an outrage, erasure of a shameful stain, quest for intensity in life, desire to be another, or several of these motives at once, the subject seeks, through the feat, to escape their current state and enter a significant becoming, even if it proves fatal. And it is not necessary to possess exceptional qualities to don the cloak of the epic.


C’est comme si Ahmed avait sauté dans le récit d’une épopée pour en devenir l’un des personnages et que ce saut l’avait conduit à s’engager dans un combat réel. C’est ce que je propose d’appeler le saut épique. Il ne s’agit pas d’un passage à l’acte, notion utilisée à tort et à travers pour boucher les trous du sens face à des agissements déconcertants. Restitué à la rigueur clinique que la psychanalyse lui a conférée, le passage à l’acte est un trou, un transpercement fulgurant de la conscience par l’imprévu. C’est un acte qui n’a pas de sens pour le sujet qui l’effectue, étant absent à lui-même au moment où il en est l’agent. Pour Ahmed, comme pour tant d’autres que j’ai rencontrés et qui sont entrés dans le combat, il y a au contraire un excès de sens et un franchissement délibéré qui tire sa force de la conjonction du récit et de l’action. Le mot “épopée” correspond à cet assemblage ou à cette union qu’incarnent les deux termes grecs dont il est formé: epos qui désigne la parole dans ses diverses manifestations (la verbalisation, le dire, le récit, la narration, la fable, le mythe, etc.) et poiein qui signifie l’action et ses équivalents (l’acte, le faire, la production, la réalisation, etc.). “Épopée” en arabe (malhama) est à l’unisson ; le mot provient d’une racine qui signifie “souder” (l.h.m), qui a donné “chair” et “acharnement”, ainsi que le poème épique ou la geste. Le saut épique est pour un sujet l’événement par lequel un récit se fait action, une action est faite récit, en vue d’un combat qu’il croit légitime. Qu’il soit mû par un désir de justice, par la vengeance d’un outrage, par l’effacement d’une tache honteuse, par la recherche d’une intensité de vie, par le désir d’être un autre, ou par plusieurs de ces mobiles à la fois, le sujet veut, à travers l’exploit, échapper à son état actuel et entrer dans un devenir insigne, dût-il lui être fatal. Et il n’est pas nécessaire de disposer de qualités exceptionnelles pour revêtir la cape de l’épopée.

Fethi Benslama, Le Saut Epique, Acte Sud, Paris, 2021, p. 35

A.

An act is always a temporary failure of memory by Judith Butler

Not only does the construction take place over time, but it is itself a temporal process that operates through the reiteration of norms: sex is thus both produced and destabilized in the course of this reiteration.
Footnote :
It is not simply a matter of interpreting performativity as a repetition of acts, as if the “acts” remain intact and identical to themselves when repeated over time, as if this “time” were external to the “acts” themselves. On the contrary, an act is itself a repetition, a sedimentation, a solidification of the past that is precisely forclosed by the status that assimilates it to an act. In this sense, an act is always a temporary failure of memory. In the remainder of this text, I use the Lacanian idea that every act must be interpreted as a repetition, as the repetition of what cannot be recalled, of what cannot be found, and is thus the obsessive spectre of the deconstitution of the subject. The derivative concept of iterability, formulated in response to John Searle and John L.’s theorization of acts of discourse. Austin, also implies that every act is itself a re-citation, the citation of a chain of prior acts that are involved in the present act and that perpetually empty any “present” act of its presentness. See below note 11 for the difference between a repetition at the service of a fantasy of mastery (i.e. a repetition of acts that construct the subject, that are said to construct or constitute a subject) and the concept of the repetition drive (pulsion), taken from Freud, which breaks this fantasy of mastery and sets its limits.

Judith Butler, Bodies That Matter – On the Discursive Limits of Sex, Routledge, 1993


Non seulement la construction se déroule dans le temps, mais elle est elle-même un processus temporel qui opère par la réitération de normes: le sexe est ainsi à la fois produit et déstabilisé au cours de cette réitération”,
Note de bas de page :
Il ne s’agit pas simplement d’interpréter la performativité comme une répétition d’actes, comme si les « actes » restaient intacts et identiques à eux-mêmes lorsqu’ils sont répétés dans le temps, comme si ce « temps » était extérieur aux « actes » eux-mêmes. Au contraire, un acte est lui-même une répétition, une sédimentation, une solidification du passé qui précisément forclos par le statut qui l’assimile à un acte. En ce sens, un acte est toujours une défaillance provisoire de la mémoire. Dans la suite de ce texte, j’utilise l’idée lacanienne selon laquelle tout acte doit être interprété comme une répétition, comme la comme la répétition de ce qui ne peut être rappelé, de ce qui ne peut être retrouvé, et est ainsi le spectre obsédant de la déconstitution du sujet. Le concept déridiéen d’itérabilité, formulé en réponse à la théorisation des actes de discours par John Searle et John L. Austin, implique aussi que tout acte est lui-même une re-citation, la citation d’une chaine d’actes antérieurs qui sont impliqués dans l’acte présent et qui vident perpétuellement tout acte « présent» de sa présentéité. Voir ci-dessous la note 11 pour la différence entre une répétition au service d’un fantasme de maitrise (c’est-à-d à dire une répétition d’actes qui construisent le sujet, qui sont dits construire ou constituer un sujet) et le concept de pulsion de répétition, pris chez Freud, qui brise ce fantasme de maitrise et en fixe les limites.

Judith Butler, Ces corps qui comptent – De la matérialité et des limites discursives du « sexe », Editions Amsterdam, Paris, 2018, p. 27

L.

Loosing valuable things as a sacrifice by Sigmund Freud

The act of loosing valuable things is used as an expression (…) to make sacrifice (an offering) to dark powers of fate, whose worship, even among us, is not yet extinguished.

L’acte de perdre des choses de valeur sert d’expression (…) à faire un sacrifice (une offrande) aux obscures puissances du destin, dont le culte, même parmi nous, n’est pas encore éteint.

 
Sigmund Freud, Psychopathologie de la vie quotidienne (1901), trad. D. Messier, Gallimard,
Paris, 1997, p. 339

A.

Act only inside the transfer by Sigmund Freud

Patient’s act instead of his remembering, outside the transfer, is undesirable. In our view, the ideal is he shows abnormal reactions only inside the transfer.

Il n’est nullement souhaitable que le patient, en dehors du transfert, agisse au lieu de se souvenir. L’idéal, à notre point de vue, est qu’il ne manifeste de réactions anormales que dans le transfert.

 
Sigmund Freud, Abrégé de psychanalyse (1938), trad. A. Berman, PUF, Paris, 1985, p.45